Homélie du 11 juillet 2010 - 15e DO
fr. Benoît-Dominique de La Soujeole

«Cette Parole n’est pas loin de toi; elle est dans ta bouche et dans ton cœur pour que tu la mettes en pratique.» (Dt. 30, 14).

Quelle Parole? La Loi de charité qui est l’enseignement bien connu de la parabole du Bon Samaritain.

Il est cependant facile, et donc courant, de ne voir dans cette parabole qu’un exemple édifiant de solidarité. On la réduit ainsi à un enseignement moral, certes beau, mais finalement très humain ou «humaniste» dont le christianisme n’aurait pas l’exclusivité, ou même qui montrerait un certain dépassement du christianisme qui, sorti de ses étroitesses confessionnelles qui divisent, serait de nos jours devenu plus général.

Or quand les Pères de l’Église commentent cette parabole, ils disent beaucoup plus et beaucoup mieux qu’un simple discours moralisateur: cette parabole est la parabole de la Rédemption.

Le Bon Samaritain c’est le Christ, le Verbe éternel de Dieu qui descendit du ciel pour nous sauver en prenant notre chair.

Le blessé, c’est Adam – et en lui toute l’humanité – attaqué et laissé pour mort par ces brigands de l’œuvre de Dieu que sont le Démon et ses anges.

Prêtre et Lévite passent, voient la situation et n’interviennent pas: c’est l’impuissance de la Loi ancienne à relever l’humanité.

Le Christ, lui, prend l’homme sur ses épaules, le Verbe s’est incarné réalisant avec chacun de nous une étroite communion: il a porté nos péchés.

L’auberge est l’Église où tous les pécheurs sont conviés pour y recevoir l’huile et le vin de la doctrine et des sacrements.

Voilà ce qui explique le renversement de la question: le lévite avait demandé: «Qui est mon prochain?» (Lc. 10, 29), et le Seigneur lui répond: Sois le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands.

Car l’homme blessé, tout homme, ne se rapprochera pas de moi; il ne le peut pas car il est profondément blessé. C’est moi qui doit franchir la distance. L’amour qui vient au secours du péché dans toutes ses manifestations c’est l’amour qui poussa le Verbe à s’incarner pour notre salut. Rejoints par le Christ, l’Esprit, Lui la vraie Loi nouvelle, nous configure au Christ et imprime en nous le même mouvement de la charité miséricordieuse, c’est-à- dire rédemptrice.

Le Christianisme n’est pas une morale. Il comporte certes une morale, et exigeante, mais celle-ci ne peut être saisie et vécue qu’au plan décisif où le christianisme est une mystique, c’est-à-dire réalise progressivement en nous une incorporation au Christ: «Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi.» (Ga 2,20); c’est en moi et par moi que le Christ se fait proche de tous pour sauver. Cette Parole sur nos lèvres et dans notre cœur, c’est le Christ par son Esprit dans sa Parole reçue et confessée, dans ses sacrements qui donnent ce que la Parole révèle.

L’ordre monastique occidental né de Saint Benoît a vécu cette mystique. Et tout retiré et cloîtré qu’il fut, il a montré à quel point il était capable d’être cette présence du Christ auprès des pauvres et des petits (Cluny, au temps de sa splendeur nourrissait dix mille pauvres par jours), et plus largement encore, il a façonné un continent entier, notre vieille Europe, qui dans ses racines vient de cette Loi nouvelle qui est le Christ. Une fois encore aujourd’hui, rappelons-nous Qui vient vivre en nous pour être par nous le Sauveur du monde.