Homélie du 9 mars 2014 - 1er DC
fr. Arnaud Blunat

Frères et sœurs, l’épreuve de la tentation n’est pas un vain mot! Je peux vous le dire, l’entrée en carême n’est pas de tout repos. Ce premier dimanche le manifeste clairement. Comme Jésus, nous sommes conduits au désert pour y être éprouvés. Le démon est là pour semer la division, il veut nous décourager et nous faire tomber. Cette expérience va tester la valeur de notre foi et de notre liberté de fils de Dieu. Peut-on être vraiment libres sans passer par une telle mise à l’épreuve?

N’ayons pas peur d’affronter l’épreuve de la tentation, et suivons Jésus au désert. Car c’est pour nous que Jésus a enduré l’épreuve de cette triple tentation. Rempli de la plénitude l’Esprit Saint, le voici, seul, face au démon. Il a d’abord faim. Quoi de plus normal quand on jeûne pendant 40 jours! Une solution serait de trouver de la nourriture à bon compte. Faire un miracle, là, tout de suite, comme par un tour de magie. Changer des pierres en pains! Mais la faim que Jésus éprouve ne le poussera pas à faire n’importe quoi. «Ma nourriture, c’est de faire la volonté de mon Père». Il sait bien que les hommes ont faim d’autre chose que de pain et de divertissements. Ils sont pourtant si vulnérables que le monde d’aujourd’hui les a emprisonnés dans le filet de la convoitise, de l’exploitation et de la surconsommation. Aujourd’hui, alors que certains meurent de faim à cause de l’inconscience et de l’indifférence des hommes, d’autres meurent de ne pas savoir pourquoi ils sont sur terre. Il n’y a pas de solution toute faite. Mais les hommes de bonne volonté et les croyants que nous sommes doivent réagir. Cette injustice n’est pas l’œuvre de Dieu mais bien des hommes. Commençons par revoir notre rapport à tout ce qui est matériel et sachons nous tourner vers ceux qui ont faim de pain mais aussi de toute parole qui vient de la bouche de Dieu. Trouvons notre liberté dans la lecture de la Parole de Dieu, pour nous rapprocher de ceux qui n’ont rien et partager avec eux ce que nous avons.

Jésus se laisse ensuite conduire jusqu’au sommet du Temple de Jérusalem. Quelle belle occasion de défier les lois de la nature, de susciter une intervention divine et de subjuguer les foules qui verraient depuis le parvis du Temple le Fils de Dieu rattrapé par les anges! «Jette-toi d’en haut si tu es le Fils de Dieu!» Une solution pour dépasser cette condition humaine si pesante. Mais pourquoi devrions-nous forcer Dieu à agir comme nous le voulons? «Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu». Jésus lui-même a choisi de remettre toute sa vie entre les mains de son Père et de ne faire que sa volonté en assumant notre humanité. Il sait bien que les hommes n’hésitent plus à se passer de Dieu pour se bâtir un monde à leur convenance. Mais il connait aussi la détresse de ceux qui sont découragés et tentés d’en finir au plus vite. Aujourd’hui, l’homme veut être le maitre de la vie, maître de sa vie. Il veut décider de créer de nouveaux individus et ou de les supprimer quand ils deviendront trop gênants. Alors que certains exposent imprudemment leur vie ou veulent intervenir sur la vie des autres, au mépris de Dieu, d’autres, en revanche, n’hésitent pas à donner leur vie et à se tourner vers Dieu pour sauver des vies humaines, obtenir des guérisons, épargner des morts injustes. Dieu sait répondre aux prières confiantes et persévérantes. N’ayons pas peur de prier pour de justes causes. Trouvons notre liberté dans la prière, pour arrêter les visées prométhéennes de notre humanité, et pour accompagner nos frères dans leur solitude et leur souffrance.

Enfin Jésus se voit présenter par le démon tous les royaumes de la terre et leur gloire. Satan n’a décidément peur de rien. Il ne propose à Jésus rien moins que de se prosterner devant lui! La ficelle est un peu grosse, mais qui ne tente rien n’a rien. En matière de tentation, le diable fait feu de tout bois! La solution, c’est de se voir offrir le monde entier. Mais Jésus n’a nullement besoin du diable pour régner sur ce monde. D’ailleurs, Jésus ne règne pas comme les chefs et les souverains terrestres. Son règne se réalise au milieu des hommes par l’amour et le service, en totale obéissance au Père. Car c’est lui et lui seul qu’il faut adorer. L’homme est à ce point esclave de ses passions et le jouet du démon qu’il court après tous les honneurs et se plie à toutes les compromissions pour obtenir des faveurs illusoires. Jésus n’a pas choisi la gloire des hommes mais il a pris la place du serviteur. Lui, de condition divine, il s’est abaissé jusqu’à la mort, et la mort sur une croix. Il est passé par le chemin de l’humilité et de la simplicité. L’Église, par la voix du Pape François, le redit maintenant haut et fort. Rien ne changera si nous ne sortons pas de nos logiques de pouvoir, si nous ne mettons pas d’abord à l’écoute de Dieu en nous mettant à l’écoute des autres et au service des plus pauvres. Dans ce monde sans pitié et déshumanisé, nous, chrétiens, devons proposer un autre modèle de vie personnelle et communautaire. Il est temps de montrer à nos contemporains qu’être chrétien, c’est d’abord s’intéresser aux autres, et manifester à chacun une attention et un respect sans limite. Dans nos hôpitaux, dans tous les espaces publics, les lieux de divertissement et les temples de la consommation, il est possible d’envisager une autre manière de vivre, moins individualiste, plus solidaire, plus juste, plus humaine. Trouvons notre liberté dans le jeûne, la maitrise de nos désirs, le renoncement aux prétentions vaines.

Quand l’homme est vainqueur de ses tentations, quand il ne succombe pas à ses passions et à ses pulsions, la paix s’installe en lui et autour de lui. Il ressent l’effet de la miséricorde du Seigneur. Dieu peut étendre sa miséricorde à tous ceux qui le cherchent. Il vient panser les cœurs blessés. C’est fou de penser qu’il a fallu que Dieu lui-même passe par là pour nous sauver! Mais n’est-ce pas ainsi, avec l’exemple du Fils unique de Dieu, que nous devenons vraiment fils et filles de Dieu à notre tour? Et n’est-ce pas là le prix de notre liberté et tout l’enjeu de notre dignité?