Homélie du 21 décembre 2014 - 4e DA
fr. Augustin Laffay

Interrogé par Louis Pauwels sur sa foi ou sur ce qui pouvait en tenir lieu, Louis-Ferdinand Céline déclarait désabusé, en 1961 : « Le bon Dieu, il a pas l’air de s’intéresser aux choses qui m’intéressent. » Et qu’est-ce qui intéresse l’auteur du Voyage au bout de la nuit ? Ce qui l’intéresse, ce sont les hommes, c’est le sort des pauvres, ce sont les malades dont toutes les coutures craquent. Au fond, ce qui intéresse Céline, c’est le sens obscur de l’aventure humaine. A ses yeux, on se débat dans le noir ; on n’y voit rien ; la vie est une « corvée » comme le dit Job (Jb 7, 1). Alors, forcément, « Le bon Dieu, il a pas l’air de s’intéresser aux choses qui m’intéressent. »

Cette expression de Céline, je l’ai entendue souvent, cette semaine, quand je confessais, quand j’écoutais tel ou tel d’entre vous. Je sais que nombre d’entre vous, jeunes ou moins jeunes, se posent cette question, avec tristesse : « Est-ce que Dieu s’intéresse à ce qui m’intéresse ? »

La réponse que l’Évangile apporte à cette question tient en un mot : l’Incarnation. Il faut les yeux de la foi pour goûter la vérité de cette réponse ; dans la foi on découvre que Dieu s’intéresse à ce qui nous intéresse. Le jour de Noël, nous entendrons le prologue de l’Évangile selon saint Jean qui contient ces mots admirables : « Et le verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous. » On peut traduire plus littéralement du grec : « Et la parole devint chair et dressa sa tente parmi nous » (Jn 1, 14).

Habiter parmi nous, dresser sa tente parmi nous, cela veut dire s’intéresser à nous, à nos préoccupations les plus immédiates comme à nos désirs les plus profonds. Dans la tradition provençale de la crèche, Jésus, Marie, Joseph sont placés au cœur de la population d’un village. Ils sont entourés de poules, de chèvres et de canards ; ils sont gênés par l’odeur du fumier ; ils toussent à cause d’un feu qui fume ; ils grelottent dans la nuit de Bethléem parce que la porte est sans cesse ouverte. C’est cela, leurs préoccupations immédiates. Et Dieu, l’Emmanuel, est avec eux.

Dieu vient s’intéresser à nos soucis les plus terre à terre comme il s’intéresse à nos grands désirs, à notre aventure d’hommes. Si le Verbe s’est fait chair, c’est parce qu’il s’intéresse à nous. Le logos n’est pas une parole sacrée, inaccessible au vulgaire. Dieu n’a pas peur de souiller son Verbe, de le compromettre en l’enfouissant dans la chair d’une vierge d’Israël. Le Verbe de Dieu n’est pas une espèce d’œuvre d’art, de poème symbolique fermé sur lui-même. Il n’est pas un rébus sacré indéchiffrable sinon pour quelques gnostiques. Il n’est pas une perfection esthétique qui ne dit rien à l’homme parce qu’elle n’a pas besoin de lui. Dans le sein de Marie, dans sa chair, Dieu se fait homme.

C’est cela, la bonne nouvelle du jour : Dieu s’intéresse à ce qui nous intéresse. La première qui ait accueilli cette bonne nouvelle, c’est la Vierge Marie, lors de l’Annonciation. Voici la demeure de Dieu parmi les hommes !

Dieu n’a pas fait violence à Marie. Le dialogue avec Gabriel manifeste à quel point Il respecte sa liberté. Il lui permet en effet de présenter à Dieu l’offrande de sa soumission volontaire, de son obéissance pleine d’amour. Il ne l’asservit pas ; il attend qu’elle se déclare son humble servante. Il eût été indigne de Dieu de traiter une personne humaine en l’utilisant à son insu, comme un instrument.

En répondant « Oui », « Fiat », la Vierge très sainte témoigne du fait que ses aspirations les plus profondes, ses désirs les plus grands sont reconnus et comblés par son Seigneur. Et dans ce processus, Marie ne répond pas seulement en son propre nom mais en notre nom à tous. Elle est en effet, à cet instant, dans le plan de Dieu, celle qui représente l’humanité tout entière. Le « oui » de Marie nous concerne : nos petits « oui » ne sont pas une affaire strictement individuelle qui ne regarde que nous. Dans le corps de l’Église, nous entrons avec elle dans le grand mouvement qui ramène vers le Père l’humanité tout entière qui s’en était écartée. Parce qu’en elle et avec elle nous avons reconnu que Dieu s’intéressait à nous, qu’Il jetait ses yeux sur nous, nous la suivons dans la gloire. Elle est le prototype de notre salut.

On parle de la délivrance d’une femme en couches. Pour aucun autre enfant que l’Enfant-Dieu, vrai Dieu et vrai homme, cette expression n’a eu un sens aussi fort : Marie a été préservée du péché à cause de cette naissance à venir.

Enfin et surtout, avec elle et grâce à elle, nous obtenons de Jésus, l’Emmanuel, la délivrance du péché, de la mort et de la médiocrité. Ce qui nous intéresse le plus, c’est par Jésus et en Marie que nous en bénéficions. Frères et sœurs, notre délivrance est proche. Dieu s’est tourné vers nous. Voici la demeure de Dieu parmi les hommes.