Homélie du 11 avril 1999 - 2e DP

« Cher Thomas ! »

par

fr. Jean-Hugo Tisin

Thomas, mon semblable, mon frère!

        Cet évangile, cette Bonne Nouvelle du Christ pascal, du Christ ressuscité, est l’évangile de Thomas, l’évangile pour Thomas. Et je crois pouvoir dire que cet évangile est pour nous tous, tant il est vrai que l’apôtre, dont seul saint Jean parle, est le symbole, le type même de la recherche de Dieu.

C’est toujours en Thomas, mais aussi en Marie-Madeleine, qu’il nous faut constamment déchiffrer les signes pour reconnaître la présence du Christ ressuscité dans nos vies.

Et de ce point de vue, Thomas est une des plus hautes et des plus grandes figures de la découverte de Jésus Fils de Dieu, Jésus Seigneur ressuscité, Jésus Dieu.

Cet évangile clôt l’évangile selon saint Jean, du moins dans une de ses premières éditions.

Dès lors, nous apprenons ce qu’est un évangile.

        Évangile est un terme grec qui signifie « bonne nouvelle ». Mais ce terme grec traduit un terme hébraïque qui signifie effectivement « bonne nouvelle », mais bonne nouvelle de délivrance, de salut, et de salut opérant, s’opérant dans le passage pascal. Il ne s’agit pas de n’importe quelle bonne nouvelle, c’est la Parole de Dieu qui vient nous chercher dans notre exil, dans nos captivités, dans nos ténèbres, dans la misère du péché, dans la mort, pour nous tirer et nous faire monter vers le lieu où nous attend le Christ, ce mystérieux lieu d’où rayonne, d’où fructifie ce que le Seigneur appelle la Vie Éternelle.

Tel est l’évangile.

        Il nous est communiqué pour que nous aussi à la suite de Marie-Madeleine, à la suite du disciple bien-aimé, à la suite de Thomas, nous reconnaissions cette Vie Éternelle qui est en nous, qui nous illumine, nous fait avancer, que nous devons reconnaître au plus intime de nos frères.

Cet évangile est précieux parce qu’il ne s’agit pas seulement d’évoquer la vérification d’un sceptique. Mais il nous invite à faire passer notre expérience sensible, des sens, de la vue, de l’écoute de la Parole, du toucher, à une expérience spirituelle, à l’expérience de reconnaissance de la Vie Éternelle à laquelle nous sommes destinés.

        Chaque fois qu’un disciple de Jésus reconnaît à travers les signes de la Vie Éternelle, Jésus Fils de Dieu, chaque fois qu’il y a un signe, c’est une invitation pressante à dilater notre cœur pour que la foi du Christ s’enracine en nous.

D’abord Marie-Madeleine, le premier jour de la semaine, puis le disciple bien-aimé «Il vit et il crut» (Jean 20, 8), voyant les bandelettes du mort «il vit et il crut».

        Et maintenant Thomas, absent, mais le Seigneur le cherchait dans cette absence, le Seigneur le précédait dans cette absence, connaissait ses doutes. Et précisément le Seigneur est venu le chercher là où il était dans son élan, dans sa recherche; et il l’a conduit vers ce lieu où la Vie rayonne, la Vérité est là, le Chemin est découvert.

Le Seigneur demandait à Marie-Madeleine de ne pas le toucher (Jean 20, 17) – là aussi expérience très forte, dans l’évangile, du toucher – tant que nous n’avons pas touché l’Être de Vie, nous sommes très loin encore de reconnaître cette Vie en nous.

        Aujourd’hui avec Thomas, c’est le Seigneur lui-même qui invite à toucher (Jean 21, 27). Mais peut-on toucher le Signe de la Vie Éternelle? On peut toucher des signes de la vie biologique, on peut toucher les signes de la mort, de la mort biologique. Mais peut-on toucher le signe d’une mort qui symbolise le péché? Car le Seigneur est mort, et la Croix en est le témoignage suprême: mort de son Être, mais plus profondément encore mort du péché, mort de la ténèbre, mort de l’exil dans lequel tous les hommes sont plongés ici-bas.

La Croix n’est pas simplement la croix d’un supplicié, le signe d’une mort, c’est le signe infiniment plus profond qui dépasse toute mort biologique, c’est notre mort à nous, c’est notre impossibilité de reconnaître les signes de la vie par nous-mêmes.

        Peut-on toucher alors cette mort-là? – Non De même que nous ne pouvons pas toucher le signe de la présence infinie de l’Amour!

Mais le Seigneur nous invite à placer nos doigts dans son côté ouvert d’où l’Église a jailli, d’où la Vie a jailli pour que nous ne reconnaissions pas un mort, ou même un vivant fait de notre chair, niais le Vivant de la Vie Éternelle.

        Il y a donc un passage fulgurant entre une expérience de toucher sensible et le cri qui va jaillir du cœur du disciple «Mon Seigneur et mon Dieu» (Jean 21, 28). Mais il fallait que le Seigneur appelât Thomas par son nom – comme Marie-Madeleine – en tout cas fasse défiler devant ses yeux cette quête que Thomas avait entreprise dès le début.

Mais Thomas est comme nous, il est impulsif, lent à croire. Lorsque le Seigneur voulait délivrer Lazare de son tombeau, ne s’est-il pas écrié «Allons avec lui pour mourir nous aussi»? (Jean 11, 16).

        Cher Thomas, savais-tu quelle était la mort de Jésus? La mort de Lazare? – peut-être.

        Mais comment comprendre qu’il nous faille suivre Jésus dans la mort pour que, au-delà même de cette mort, nous trouvions la Vie?

Lorsque le Seigneur a réuni ses disciples avant son Repas du Jeudi Saint, il nous avait avertis qu’il allait nous préparer une place. Et Thomas de s’écrier «Mais Seigneur, nous ne connaissons pas le chemin, comment pourrions-nous te suivre?» (Jean 14, 2-6).

Cécité, aveuglement de Thomas qui est aussi le nôtre.

        Frères et sœurs, ce matin, non seulement laissons-nous guider vers le Seigneur pour que non seulement nos mains puissent toucher le Corps du Ressuscité, mais laissons-nous toucher par lut lui qui vient vers nous pour toucher nos plaies, pour raviver cette Vie Éternelle qu’il a déjà déposée en nous.

        Et alors, lorsque nous le recevrons dans notre main, nous pourrons dire: oui c’est cela, c’est ainsi! Amen, mon Seigneur et mon Dieu!