Homélie du 30 novembre 1997 - 1er DA

Dans l’attente du décollage

par

fr. Henry Donneaud

        Redressez-vous et relevez la tête, car le départ est proche. Et vous pourriez le rater.
Nous voici dans un grand aéroport; notre monde est comme un grand aéroport.
De tous côtés, des vols sont annoncés, pour toutes sortes de directions: Paris, Londres, Rome, New York, Tokyo… Il y a beaucoup de monde dans le grand hall des départs, beaucoup d’effervescence, dans tous les sens. Chacun cherche son vol, sa porte d’embarquement, son avion; on court à droite et à gauche.

        Nous, les chrétiens, au milieu de cette foule, nous savons très bien où nous allons. Non pas ici ou là, en Afrique ou en Asie, mais au Ciel. Nous connaissons notre numéro de vol, notre compagnie. D’ailleurs, notre avion est déjà arrivé; nous le voyons, là, sous nos yeux, sur le tarmac.

        C’est un des plus gros avions du monde, un des plus puissants. Bien sûr, il est un peu vieux; il a près de deux mille ans; en certains endroits, ses peintures ne sont plus très fraîches. Mais, à bien y regarder, il est comme neuf. Une armée de techniciens s’affaire sans cesse pour l’entretenir, pour lui garder toutes ses capacités, toutes ses performances, toute sa sécurité. On révise très régulièrement ses réacteurs, qui lui permettent d’aller toujours plus vite, d’emporter toujours plus de passagers, et de faire de moins en moins de bruit. Quant à son carburant, c’est le Saint Esprit: on ne le voit pas, mais les réservoirs en sont toujours pleins.

Vous l’avez reconnu: cet avion s’appelle l’Église.

        Nous, les chrétiens, depuis notre baptême, nous avons reçu un billet et franchi tous les contrôles. Nous avons le droit d’entrer; c’est notre avion. Il va exactement là où nous voulons aller: au Ciel.

Mais voilà, il y a un problème, un vrai problème; certains disent même un gros problème.

Le commandant de bord, le pilote, celui qui seul peut faire décoller l’avion et le conduire au but, n’est toujours pas là. Il n’est pas encore revenu. Voilà 2000 ans qu’on l’attend.

Tout est prêt pour le décollage, semble-t-il. L’avion paraît déjà bien rempli, et l’équipage au complet. Au complet… sauf le pilote qui n’arrive pas. L’avion reste donc cloué au sol; il ne décolle pas.

Alors les passagers s’impatientent; ils trouvent le temps long, trop long. L’équipage, pourtant, ne cesse pas de nous offrir de la nourriture pour calmer notre faim et notre soif. Il nous apporte des journaux et des revues pour aviver notre goût du lieu vers lequel nous allons. Il vient à chaque instant nous expliquer ce qui se passe, pour nous rassurer et tenter d’apaiser notre attente.

        Mais toute la difficulté est bien là. Il est pénible d’attendre. Les gens ne veulent plus attendre. Ils sont fatigués des nourritures qu’on leur sert, toujours les mêmes. Ils ne veulent plus écouter l’équipage; ils ne croient plus en ce qu’il dit. Alors, ils commencent à quitter l’avion.

Les uns préfèrent aller attendre dans le hall, où il y a plus de place, moins de monotonie, des nourritures et des lectures plus variées.

D’autres, encore moins patients, renoncent tout à fait à ce vol. Ils choisissent une autre compagnie, une autre destination.

Du coup, certains de ceux qui arrivaient dans le hall d’entrée, à la recherche d’un vol, et qui hésitaient à nous rejoindre dans notre avion, renoncent eux aussi à monter. Ils vont chercher ailleurs.

C’est que la tentation est grande. La concurrence entre les compagnies est si acharnée, les avions et les destinations tellement nombreux, que l’on est tenté de choisir des vols moins fatigants, moins exigeants, avec des attentes moins longues, des plaisirs plus immédiats.

        Et pourtant, le Commandant nous avait averti, lors de sa première venue: Prenez garde de ne pas vous laisser abuser.

Ceux qui vont chercher ailleurs s’illusionnent. Seule notre compagnie peut conduire au Ciel. Les autres avions, certes, décollent, mais c’est toujours pour ré-atterrir ailleurs. Ils sont incapables de nous ouvrir le Ciel. Seule notre compagnie le peut. Elle le dit et le répète, mais on l’accuse de publicité mensongère. C’est pourtant la vérité et elle ne peut pas dire autre chose.

Quant à ceux qui sortent attendre dehors, ils sont imprudents. Ils n’écoutent pas les annonces:  » Tenez-vous sur vos gardes, l’avion peut décoller à chaque instant. Veillez et prier sans cesse, car vous ne savez ni le jour ni l’heure.  » À ne pas savoir attendre, ils risquent, tels des insensés, de rater le départ.

        Oui, mes amis, la vraie difficulté c’est de savoir attendre, d’apprendre à attendre. Celui qui ne sait pas attendre, qui n’apprend pas à attendre, va tout perdre. Or qu’est-ce que c’est qu’attendre, pour nous chrétiens: c’est prier, prier sans cesse. C’est tourner nos yeux vers notre pilote, qui est déjà venu, qui nous a promis de revenir, et qui vient déjà dans nos cœurs, secrètement.

S’il n’est pas encore là, ce n’est pas qu’il s’est perdu en chemin. C’est que son amour est immense, infiniment plus grand que le nôtre. Nous nous impatientons, mais lui devrait s’impatienter plus encore. Car en fait, c’est lui qui attend. Il attend par amour. Et il attend deux choses.

D’une part, il attend que tous ses amis soient entrés. Et Dieu sait combien il est long d’embarquer tout ce monde; car les hommes hésitent, tergiversent avant d’entrer; ils ont peur. Et Dieu aime beaucoup, beaucoup de monde.

D’autre part, il attend que nous l’aimions vraiment. Certes, nous le connaissons déjà, et c’est pourquoi nous sommes entrés dans l’avion. Mais Dieu ne veut pas seulement que nous le connaissions; il veut que nous l’aimions. Et c’est dans l’attente, avec lui, en silence dans l’avion, que nous apprenons à l’aimer vraiment, c’est-à-dire à le désirer, à ne pas pouvoir nous passer de lui. Il n’y a pas d’autre moyen, pour aimer Dieu, que de le prier, de fermer les yeux pour l’écouter et le regarder au fond de notre cœur.

        Mes amis, aujourd’hui commence le temps de l’Avent. L’Avent, c’est le temps de l’attente, l’attente du retour de Jésus qui doit nous conduire au Ciel, l’attente de sa venue dans nos cœurs. Durant ces vingt-cinq jours qui nous préparent à Noël, une seule chose va vraiment compter: la manière dont vous aurez appris à mieux prier, à prier davantage. Soyez heureux, très heureux d’être déjà dans l’avion. Mais, pour vraiment vous préparer au décollage, pour vraiment apprendre à aimer, vous pourriez répéter chaque jour, jusqu’à Noël, cette prière, celle de ceux qui ne peuvent plus se passer de Jésus, celle qui vibre au plus profond du cœur de l’Église : Oui, viens Seigneur Jésus, ton Église t’attend.