Homélie du 16 avril 2017 - Dimanche de la Résurrection - Pâques

De la nouvelle à la Bonne Nouvelle

par

fr. Henry Donneaud

Pâques ! Oui, bien sûr, c’est Pâques. Mais avouons que les nouvelles, ce matin, ne semblent pas particulièrement bonnes. Je ne parle pas de ce que nous avons pu entendre à la radio ou lire sur internet. Je parle de l’évangile qui vient d’être proclamé. Avons-nous entendu que Jésus est ressuscité ? Non pas. Marie-Madeleine, Pierre et Jean ont-ils rencontré et vu le Ressuscité ? Pas non plus.
Certes, Marie-Madeleine, venue de bonne heure au tombeau, alors qu’il faisait encore sombre, a vu la pierre du tombeau enlevée, et elle est allée aussitôt porter la nouvelle à Pierre, ainsi qu’au disciple que Jésus aimait. Mais cette nouvelle n’est pas une bonne nouvelle : « On a enlevé le Seigneur, et nous ne savons pas où on l’a mis. » Effondrée par la mort de Jésus, traumatisée par le tombeau ouvert, elle n’a même pas pris la peine de regarder à l’intérieur. Elle imagine faussement que le corps a été dérobé. Et c’est cela qu’elle va annoncer aux apôtres. Certes, elle ne se trompe pas sur le tombeau vide, mais elle ne saisit pas du tout sa vraie signification. Elle passe complètement à côté de la Résurrection.
Interloqués par la nouvelle, Pierre et Jean courent à leur tour vers le tombeau voir ce qu’il en est. Jean arrive le premier et regarde à l’intérieur, il voit le linceul à terre mais il n’entre pas. Pierre le rejoint, pénètre dans le tombeau, voit le linceul à terre et aussi le suaire bien enroulé. Mais il reste perplexe, sans rien comprendre. Seule petite lueur d’espérance, très énigmatique : lorsque Jean entra à son tour, « il vit et il crut ». Oui, il vit et il crut. Tout est là, mais si mystérieux, et encore très obscur. Jean a vu le tombeau vide, le linceul à terre, le suaire roulé. Mais qu’a-t-il cru ? L’évangéliste reste silencieux sur ce point. Certes, un sûr instinct nous pousse à compléter la vérité par nous-mêmes : il crut que Jésus est ressuscité. Mais l’évangéliste ne le dit pas. Il précise seulement : les apôtres « ne savaient pas que d’après l’Écriture, Jésus devait ressusciter des morts et ils s’en retournèrent chez eux » (Jn 20, 8-9), discrètement, sans rien dire, sans rien faire.
Voilà à première vue tout l’évangile de ce matin de Pâques : un tombeau vide, trois disciples désemparés, paralysés, dont un seul semble avoir commencé à percevoir obscurément, en creux, sans aucun mot, l’immensité de ce qui vient de se passer.
Pourquoi cette retenue de l’évangile ? Pourquoi cette obscurité qui semble cacher la Résurrection et empêcher de la proclamer ? Pourquoi ce silence sur ce qui est l’événement le plus décisif de toute l’histoire de l’humanité ? Faudrait-il brider notre joie ? Laisser place au doute ? Relativiser la force de notre foi ?

Au contraire, en ce matin de Pâques, il s’agit d’aiguiser notre foi pour la raviver, il s’agit de purifier notre joie pour la laisser éclater plus pleinement et plus profondément.
En effet, on ne peut pas connaître la résurrection de Jésus comme on prend connaissance de n’importe quel événement, fût-il important. Certes, c’est un fait réel, très réel, le plus réel de tous, mais c’est un fait qu’on ne peut reconnaître que moyennant un engagement personnel, un engagement libre, un engagement d’amour, un engagement total dont l’enjeu n’est rien moins que le tout de notre vie, notre bien le plus essentiel. Ce n’est pas un fait dont on prend connaissance de façon mécanique, un fait qui s’impose comme vrai, qu’on le veuille ou non. M. Hollande est président de la République, encore pour quelques jours. Voilà un fait immédiatement évident et incontestable, un fait que je suis obligé de reconnaître, qu’il me plaise ou non, mais un fait dont la reconnaissance n’engage aucunement les profondeurs de ma personne.
La résurrection de Jésus, au contraire, événement autrement plus vrai, plus réel, plus bienfaisant que l’élection de n’importe quel chef d’État, ne peut être reconnue que par un acte qui nous engage tout entier, du plus profond de nos personnes, parce que l’enjeu de cet événement n’est rien moins que notre bien ultime et suprême, notre libération du péché, notre salut total, notre vie éternelle. C’est un événement qu’il est impossible de saisir sans vouloir librement le reconnaître, sans désirer s’engager tout entier dans ses conséquences : si Christ est ressuscité, c’est pour que je ressuscite à mon tour avec lui, pour que je m’engage tout entier à sa suite. Et si je parviens à croire qu’il est ressuscité, c’est parce que Dieu a mis au plus profond de moi le désir de cette vie nouvelle, parfaite et éternelle que Jésus a fait triompher.

Voilà pourquoi l’évangéliste Jean nous présente ce matin l’accès à la foi en la Résurrection comme une sorte de jeu de piste divin, comme un parcours du combattant mystique, avec des étapes incontournables qui nous introduisent pas à pas dans la grandeur infinie de la joie pascale qui nous est donnée ce matin.
Au départ, avec Marie-Madeleine qui court au tombeau pour pleurer Jésus, il y a l’amour brut, l’amour instinctif, le désir vital de salut de celle qui, perdue par son péché, a fait l’expérience de la miséricorde de Dieu en Jésus, mais un amour qui reste aveuglé tant que le Resssuscité ne vient pas se faire reconnaître en personne.
Puis il y a Pierre, le chef des apôtres, appelé à garantir la vérité des signes de la Résurrection, la vérité de la foi, lui qui pourra attester que le tombeau était vide au matin de Pâques, et que Jésus, le soir même, lui est apparu avec les autres apôtres ; c’est sur le témoignage de sa foi que nous pouvons croire, mais cette foi a été lente à naître, surtout après le rude échec du reniement.
Et puis il y a Jean, « celui que Jésus aimait » (Jn 20, 2), celui qui aimait Jésus du plus profond de son être, qui l’avait non seulement suivi et servi, mais qui l’avait écouté plus que tous les autres. Poussé par un désir d’intelligence amoureuse, il avait commencé à se laisser introduire dans l’intimité du cœur divin de son ami. C’est la force de cet amour lumineux, total, qui le fait courir plus vite que Pierre et surtout qui lui permet, alors que Pierre reste perplexe devant le tombeau vide et devant les linges, de voir en profondeur, et alors de croire. Tout en voyant les mêmes choses que Pierre, Jean, lui, et lui seul, a pu croire, avant même que Jésus ne soit apparu. Il n’a pas eu à attendre le témoignage extérieur du Ressuscité pour tirer toutes les conséquences de la vision du tombeau vide et des linges mortuaires laissés là.
Nous saisissons alors la force de cette formule qui constitue le sommet de notre évangile de ce matin : Il vit et il crut. Nous comprenons comment l’évangéliste nous prépare ainsi à accueillir la béatitude que Jésus huit jours plus tard énoncera, par-delà l’incrédule Thomas, à destination des croyants de tous les temps que nous sommes : « Parce que tu vois, tu crois. Heureux ceux qui croiront sans avoir vu » (Jn 20, 29). Jean, celui que Jésus aimait, est entré le premier dans cette béatitude. Contrairement à Thomas qui a dû attendre de voir Jésus ressuscité pour croire en sa résurrection, Jean, lui, a su se contenter de signes encore obscurs et ambigus pour croire. Pourquoi ? Parce que la force de son amour intérieur lui a permis, avant tous les autres, de se souvenir de tout ce que Jésus avait dit sur le mystère de sa mission. Et cet amour, unifiant en son cœur des indices dispersés, lui a permis de croire en la Résurrection avant même qu’elle ait été proclamée, avant même que le Ressuscité ne se soit lui-même manifesté. Voilà pourquoi, pour nous aussi, les dispositions du cœur sont si importantes : c’est d’elles dont dépend la qualité de notre foi, la qualité de notre reconnaissance de la victoire du Crucifié.
Ce clair-obscur de la foi naissante nous permet également de comprendre pourquoi le Christ, pour accomplir la volonté du Père, n’a pas fait éclater sa victoire sur la place publique, aux yeux et au su de tous, comme nous sommes parfois tentés de le regretter : pourquoi Jésus, vainqueur de la mort, ne s’est-il pas fait voir à tous, dans la gloire de sa résurrection, à ses ennemis comme à ses amis, à ses proches comme à ceux qui ne le connaissaient pas ? Tout aurait été plus simple. Il aurait convaincu et soumis tout le monde par l’évidence de sa résurrection. Telle n’était pourtant pas la volonté du Père, comme l’a d’ailleurs bien compris Pierre lui-même dans son discours que nous avons entendu en première lecture : « Dieu l’a ressuscité et lui a donné de se manifester, non à tout le peuple, mais aux témoins que Dieu avait choisis d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts » (Ac 10, 40-41). Jésus ne s’impose à personne. Sa résurrection n’est pas un fait brut que nous serions obligés de reconnaître mécaniquement, par la seule force d’une évidence immédiate dont chacun pourrait bénéficier. Elle est la victoire de l’amour destiné à des amis ; elle est don de vie à des hommes et des femmes qui désirent aimer la vie véritable et qui désirent vivre de l’amour véritable. La foi en la résurrection de Jésus n’est pas une foi automatique et soumise, elle est une foi libre et amoureuse, que chacun est appelé personnellement à recevoir en réponse à son désir le plus profond. Sans désir du salut, sans amour du Sauveur, pas de foi possible, pas de reconnaissance de Jésus.
Et ce clair-obscur de la Résurrection au matin de Pâques s’étend aussi à notre propre résurrection, cette résurrection des croyants dont l’apôtre nous a affirmé, dans la lettre aux Colossiens entendue en première lecture, qu’elle est déjà commencée, réellement commencée, quoique de façon mystérieuse, encore cachée : « Frères, puisque vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d’en haut, non celles de la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu » (Col 3, 1.3). La foi en la résurrection de Jésus fait que nous sommes déjà ressuscités, — certes d’une manière qui n’est pas encore visible, car nous restons de chair et de sang, mais notre être, en ses profondeurs, en son orientation vitale, en ses puissances profondes, appartient déjà à la vie de Dieu. Cette résurrection qui dès maintenant est à l’œuvre en nous, c’est la vie même de Jésus, l’amour de Jésus répandu en nos cœurs par son Esprit Saint. Comme la foi naissante de Marie-Madeleine, de Pierre, de Jean, cette vie de ressuscité grandit en nous par étapes, selon un chemin progressif que réalise en nous la vie du Christ à mesure qu’elle pénètre plus intimement toutes les profondeurs de notre être.
S’il y a un clair-obscur de notre foi et de notre vie chrétienne, une apparente fragilité, cela ne provient pas d’une impuissance du Ressuscité, dont la victoire ne serait que limitée et partielle. C’est au contraire la marque de la toute-puissance de Jésus, de la victoire totale de son amour pour nous. Loin de vouloir rien nous imposer, il nous ressuscite patiemment, de l’intérieur, pas à pas, par la force de sa croix glorieuse, de son corps et de son sang offerts pour nous, de sorte que la grâce de la vie nouvelle loin de faire de nous des êtres soumis et enchaînés, nous transforme en amis de Dieu et amis de nos frères, authentiquement libres, authentiquement capables de nous tenir debout devant lui, pour devenir éternellement participants de sa nature divine.
Voilà, frères et sœurs, notre joie de Pâques, notre joie de chrétiens : dans l’aube naissante du Jour sans déclin, elle est sans limite. Jubilante ou retenue, exultante ou silencieuse, bien visible ou tout intérieure, elle est notre trésor, celui qui nous ouvre l’espérance de la vie et que nous avons à annoncer au monde entier. Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité !