Homélie du 6 janvier 2013 - Épiphanie

Ecclesia de Epiphania

par

fr. Emmanuel Perrier

Chacune des fêtes du Seigneur Jésus nous dévoile quelque chose de mystérieux, que nous ne pourrions connaître d’aucune autre manière, une vérité essentielle sur Dieu Lui-même, sur notre existence et sur ce monde. Une vérité essentielle qui transforme notre connaissance de Dieu, notre regard sur le monde et notre existence même. Mais encore faut-il ne pas se tromper de mystère.

Regardez l’Épiphanie. En ce jour, trois mystères se partageront l’attention, et il s’agit bien de savoir lequel nous retiendra. Le premier mystère, celui qui préoccupe la majorité de nos contemporains est de savoir si la fève sera un ballon de football ou un lutin vert et qui la découvrira. C’est le mystère de ceux qui vivent dans le divertissement et pour se divertir, c’est-à-dire qui marchent à côté de leur vie et sont étrangers à eux-mêmes. Car la taille et la couleur de la fève – ou de la reine – ne nous apprend strictement rien sur Dieu, sur le monde et sur nous-mêmes. Le second mystère s’adresse aux curieux. Le curieux en effet sait que la vie ne consiste pas qu’à se divertir, mais il possède un flair infaillible pour ne jamais s’intéresser au bon mystère à cause de sa disposition d’âme: le curieux voit mais n’entre pas; il ne veut pas que ses curiosités risquent de changer sa vie. Quand arrive l’Épiphanie, le curieux ouvre une encyclopédie sur les chameaux. Ou sur les étoiles. Et il se demande comment on a bien pu croire pendant deux mille ans à cette histoire que raconte l’Évangile. Le curieux voit qu’il y a un mystère plus grand, mais il choisit de s’intéresser exclusivement à tous les petits mystères qui sont autour. De sorte que lui non plus n’a aucune chance d’être transformé par l’Épiphanie puisqu’il ne le veut pas.

Mais laissons les esclaves et les curieux à leurs mystéricules. Tournons-nous plutôt vers ceux qu’attire le mystère même de l’Épiphanie, ceux auxquels Dieu se révèle, ceux dont l’Évangile nous parle: il y a les mages et il y a Hérode. Ces deux types de rois, si différents, vont nous servir de guides. Ils vont nous aider à comprendre ceci: l’Épiphanie, c’est un résumé de l’Église, c’est l’Église saisie en son cœur, dans sa réalité la plus originelle. Disons-le autrement: seul celui qui se sait proche des mages et d’Hérode connaîtra l’Église telle qu’elle est.

Les mages sont des contempleurs d’étoiles. Des heures et des jours et des mois à scruter le ciel, à chercher les astres, à les nommer, à vivre dans leur monde. Cela, tous les mages le font. Mais pour trois d’entre eux, il y avait plus. Pour trois d’entre eux, leur occupation de tous les jours n’était pas le but ultime, les étoiles leur parlaient d’autre chose, elles nourrissaient leur désir d’infini, elles les entretenaient dans la soif de l’absolu. Il en fallait de la soif et du désir pour se mettre en route, sans attendre, lorsqu’une étoile inconnue leur fit signe, durant une nuit de veille. À toute vitesse, ils la suivirent pour percer son mystère. Et lorsque l’étoile les envoya jusque dans une humble grotte, devant un fragile nouveau-né, ils ne s’étonnèrent pas, ils ne firent pas la moue. Car l’Absolu leur avait répondu. Alors ils adorèrent celui que l’étoile désignait. Les mages de la crèche sont nos maîtres dans la recherche de Dieu et dans l’adoration. Ils sont prêts à tout quitter pour rencontrer l’auteur de leur vie, pour être en sa compagnie. Ils sont disponibles aux grâces que Dieu leur envoie. Ils sont conscients de n’avoir encore rien vu de la grandeur et de la majesté de Dieu. Ils n’ont qu’une hâte, celle de trouver celui à qui ils pourront dire: «Mon Seigneur.»

Le cas d’Hérode est plus compliqué évidemment. Il n’est pas un adorateur, il ne désire surtout pas dire à quelqu’un d’autre: «Mon Seigneur.» Et pourtant Hérode fait partie de ceux qui sont très attentifs au mystère de l’Épiphanie. Car voyez-vous, Hérode sait s’y prendre avec les empereurs autour de lui. Entre flagornerie et manigances, il sait comment tracer son chemin dans ce monde. Bref, Hérode, c’est Dédé l’embrouille. De l’art des vanités et des apparences, il connaît toutes les ficelles. Mais il sait aussi combien toutes ces vanités et ces apparences sont fragiles, comment elles peuvent être balayées dans un souffle. Hérode a peur de la vérité de sa vie, il a la trouille d’être mis à nu. En un mot, Hérode sait que sa plus grande faiblesse, sa plus grande misère, c’est le fardeau de sa conscience, c’est-à-dire son péché. Et lorsqu’il voit débarquer des mages qui veulent adorer un Seigneur à deux pas de son palais, lorsqu’il s’entend confirmer par les scribes que le Messie de Dieu doit naître à Bethléem, il blêmit: la venue de Dieu, c’est l’écroulement de son nid douillet et nauséabond de péché; l’enfant-Jésus va dévoiler l’état de sa couche à lui. Alors il est prêt à tout pour échapper à la vérité de sa vie, et bientôt il exterminera tous les enfants de moins de deux ans pour se prouver sa détermination. Dans sa cruauté même, Hérode confesse la mission de l’enfant de Bethléem: Jésus vient apporter la miséricorde aux pécheurs. Jésus était venu pour Hérode, et Hérode n’a pas voulu accueillir la miséricorde. Hérode n’a pas voulu entrer dans la grotte pour dire: «Mon Sauveur.»

Alors, frères et sœurs, quel est donc ce mystère de l’Église dont nous parle l’Épiphanie? Lorsque nous nous demandons ce qu’est l’Église, lorsque nous entendons ce mot dans les médias, lorsque nous considérons notre vie chrétienne pour ce qu’elle est et ce qu’elle devrait être, revenons à l’Épiphanie, à ces rois saisis dans leur recherche de la vérité et dans les filets de leurs péchés: Dieu nous a appelés, peut-être de très loin, peut-être de tout près, pour nous faire entrer dans la grotte; environné des anges, il y a là Jésus, le Verbe divin venu dans la chair, Dieu lui-même, entouré de Marie et Joseph, c’est-à-dire les saints; souvenons-nous alors des mages, prosternons-nous et disons: «Mon Seigneur»; souvenons-nous d’Hérode et de notre péché et ajoutons: «et mon Sauveur.»

L’Église ce n’est rien d’autre que cela: l’assemblée des pêcheurs-adorateurs et des adorateurs-pécheurs, de tous ceux qui approchent du trône de l’Agneau pour adorer et dire, du fond du cœur, parce que leur vie en dépend, «Mon Seigneur et mon Sauveur.»