Homélie du 24 novembre 1996 - Solennité du Christ-Roi

Le Règne de Dieu est au milieu de vous

par

Avatar

Frères et sœurs, quelle idée vous faites-vous d’un roi? Si c’est celle que vous proposent Paris-Match ou Gala, vous risquez de ne rien comprendre à la fête d’aujourd’hui: la royauté du Christ, Jésus l’avait dit déjà à Pilate, n’a pas grand chose à voir avec celle dont parlent les magazines.

Il faut plutôt aller voir du côté des textes bibliques. Par exemple, celui qui nous a été proposé dans la première lecture, tiré du prophète Ézéchiel: le roi y apparaît d’une part comme un pasteur, d’autre part comme un juge. Deux images qui peuvent paraître contradictoires. Arrêtons-nous d’abord à cette figure du pasteur. Il ne nous est pas présenté ici comme celui qui marche à la tête du troupeau pour l’entraîner, mais comme celui qui vit au cœur du troupeau pour ramener celles qui sont dispersées, pour soigner celles qui sont blessées. Attention aux faibles, douceur et discrétion sont les marques distinctives de ce pasteur.

Il en ressort clairement que Dieu, qu’il intervienne directement ou indirectement, ne travaille pas devant les photographes, et si l’on comprend pourquoi les magazines n’en disent rien, on comprend mieux encore pourquoi, dans l’évangile de Matthieu, ceux qui sont écartés au jour du jugement s’étonnent en disant:  » quand nous est-il arrivé de te voir – et j’insiste sur le verbe voir – affamé ou assoiffé, étranger ou nu, malade ou prisonnier « ? Ceux-là n’ont rien vu! Ils ont cherché quelqu’un qui marchait au devant d’eux, visible de loin, siégeant sur un trône, et ils n’ont pas vu celui qui était là au milieu d’eux, faible avec les faibles, portant la brebis blessée sur ses épaules.

Vous me direz que cette image pastorale du règne ne cadre guère avec cette autre, qui est aussi caractéristique de la royauté biblique, celle du juge: tant il est vrai que les juges occupent aujourd’hui le devant de l’actualité. N’est-ce pas ce que l’on attend précisément aussi du roi tel qu’en parle un autre texte, qui ne nous a pas été lu, mais qui rapporte l’institution de la royauté et qui se trouve au 8e chapitre du 1er livre de Samuel: quand le peuple demande un roi, il déclare à Samuel que celui-ci  » les jugera, qu’il sortira à leur tête et combattra leurs combats « . C’est là, il est vrai, une image plus traditionnelle du roi. Mais dans l’évangile de Matthieu qui nous a été lu, si cette présentation du roi n’est pas niée, elle n’en est pas moins renvoyée à la fin des temps, sous la figure du Fils de l’homme. Il en va de même dans la deuxième lecture, tirée de la lettre aux Corinthiens: le pouvoir royal est évoqué comme pouvoir de jugement, mais c’est encore à la fin des temps.

Il est difficile ici de ne pas penser à cette autre page d’évangile, la parabole du bon grain et de l’ivraie: alors que nous voudrions tant que soit ôtée dès maintenant l’ivraie pour que ne reste que le bon grain, Jésus fait observer à ses disciples que les deux sont appelés à croître ensemble pendant tout le temps du monde et que le tri, le jugement, ne se fera qu’à la fin des temps. A charge donc pour eux de semer le bon grain autant qu’il leur est possible. Cette image du semeur s’éclaire de celle du pasteur, car l’évangile de ce jour vient expliquer en quelque sorte ce que veut dire  » semer le bon grain « : donner toute son attention aux faibles et aux petits, ceux pour lesquels le monde n’a pas de considération.

Frères et sœurs, avec la fête du Christ-Roi, nous arrivons à la fin de l’année liturgique, autrement dit, symboliquement, à la fin des temps, et c’est la raison pour laquelle nous a été présenté un évangile sur le jugement du monde. Mais vous le constatez avec moi: dans la mesure où le jugement s’établit en fonction de ce qui a été fait pour les faibles et les petits, cet évangile ne fait que nous renvoyer au quotidien de nos vies. Il nous faut entendre à nouveau ce qui fut sans doute la première et la plus fondamentale des prédications de Jésus:  » Le règne de Dieu est au milieu de vous « .