Homélie du 22 mars 2008 - Vigile Pascale

«Mors et vita duello conflixere mirando…»

par

fr. Augustin Laffay

C’est une nuit de crainte et de tremblement qu’évoque l’évangile selon saint Matthieu. D’abord il y a ce tremblement de terre dont on ne dit ni l’origine ni les conséquences. Ensuite, il y a ce tremblement de nerfs de deux femmes à qui on enjoint de ne pas avoir peur. Vous le savez bien, si vous êtes dans une situation étrange ou difficile et qu’on vous répète de ne pas avoir peur, ça vous fait peur. Mais ce n’est pas tout, il y a aussi cet être mystérieux qui, seul, fait rouler sur elle-même la pierre pesante du tombeau. Cette nuit, tout respire le danger.

Mais de quoi ces femmes ont-elles peur? Peur de la mort, peur du néant! Ce qu’elles viennent voir au tombeau, ce n’est pas une personne, c’est un corps froid et sans vie. Nous ne pouvons pas comprendre le sens et la vérité de ce que nous célébrons cette nuit si nous ne regardons pas en face la réalité hideuse de la mort. Je ne parle pas de la mort d’opéra où la diva agonise pendant un acte, avec chœur et orchestre, avant de se relever pour recueillir les applaudissements du public. Je parle de la mort dans sa laideur, dans l’horreur qu’elle nous inspire:

– la mort de Mgr Rahho, l’archevêque chaldéen de Mossoul, enlevé il y a quelques jours en Irak;

– Je pense aussi à la mort sollicitée par Chantal Sébire, accablée par le poids de sa maladie. Cette fin résonne comme un écho moderne du cri désespéré du prophète Jonas: «Mieux vaut pour moi mourir que vivre.» (Jonas 4, 8).

– Je pense encore à la mort de chacun d’entre nous, à cet affrontement tragique et angoissant, surtout quand l’âge, la maladie ou les épreuves rendent sa perspective toute proche.

Oui, nous avons peur de la mort, de son silence glacé; nous avons peur de ne pas savoir mourir. Et la mort du Juste, la mort sur la croix de l’Homme qui avait proclamé les huit béatitudes ne peut que nous enfoncer dans cette peur.

Nous méritons peut-être la mort à cause de notre péché mais tout notre être, nos aspirations les plus profondes, nos désirs les meilleurs le crient: nous ne sommes pas faits pour ça. Quel paradoxe! Nous aspirons de toute nos forces à vivre et c’est la mort qui «règne» depuis Adam, nous dit s. Paul (cf. Rm 5, 14). Et ce règne est de fer, il est implacable; sa loi ne connaît pas d’exception: pas même pour le fils de la veuve réanimé par Élie (1R 17, 22), pas même pour Lazare (Jn 11) qui était pourtant l’ami du Seigneur Jésus.

Alors finalement cette loi de la mort qui nous terrorise, nous l’acceptons malgré les progrès de la médecine qui ne fait qu’en retarder la sanction, avec tant d’ambiguïtés. Comment se rebeller contre la nature, contre la corruption de la matière, contre l’usure de notre pauvre corps de chair. Nous subissons la mort comme un esclave supporte son maître.

Nous la subissons ou plutôt nous la subissions. Car il s’est passé quelque chose cette nuit. Le fait de Pâques, l’événement de Pâques change tout. A l’aube, dans le cimetière, Marie de Magdala et l’autre Marie ne trouvent pas un cadavre mais rencontrent un Vivant. Parties visiter la mort, elles ont rencontré la vie. C’est cela, la grande nouvelle de cette nuit, gravons la dans nos cœurs: qui cherche le Crucifié trouve le Ressuscité. Vous vous rappelez l’épreuve d’Abraham, lorsqu’il gravissait avec son fils Isaac les pentes de la montagne où il devait le sacrifier. Vous vous rappelez la question si bouleversante d’Isaac: «Mon père, voici le feu et le bois, mais où est l’agneau pour l’holocauste?» (Gn 22, 7). Comme nous, Isaac a eu peur de mourir; il a pressenti qu’il courait un danger mortel en accompagnant son père et comme sa conscience n’était pas claire, il s’est demandé si ce n’est pas lui qui devait payer de sa vie le prix du sacrifice de la réconciliation avec Dieu. Rappelez-vous la réponse qu’Abraham a lui a faite, dans l’espérance: «C’est Dieu qui pourvoira à l’agneau pour l’holocauste, mon fils.» (Gn 22, 8). Aujourd’hui, justement, nous célébrons le jour où l’Agneau immolé, l’Agneau sans défaut et sans tache a été offert à Dieu en sacrifice parfait. Par son sacrifice, le Christ, l’Agneau de Dieu a franchi les portes de la mort; par sa résurrection, il ouvre à tous ceux qui auraient du mourir les portes de la vie. Nous le chanterons toute cette semaine: «La mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux. Le Maître de la vie mourut; il est vivant, il règne.»

Comprenons bien. Par sa résurrection, le Seigneur ne nous a pas acquis le droit de mourir dans la dignité. Si lui-même est resté digne dans la mort, vous savez quelles insultes, quelles tortures, quelles indignités ont accompagné son supplice. Ce que le Seigneur nous a acquis, c’est le droit de vivre dans la dignité de fils de Dieu. Voila ce que nous avons obtenu, et que nous n’osions revendiquer: la Vie éternelle, la Vie du Dieu Père, Fils et Esprit Saint. Le titre qui garantit ce droit, c’est le baptême. Ce qu’ont fait les baptisés de cette nuit, c’est cela: passer de la mort à cette vie. Avec eux et pour eux nous nous en réjouissons, en faisant mémoire de notre propre baptême, de notre propre Pâque. «Le plus grand jour de la vie d’un pape, disait Pie XI, c’est le jour de son baptême.» Faisons notre cette affirmation: le plus grand jour de notre vie, c’est le jour de notre baptême. Bien sûr, nous allons tous mourir mais nous avons la certitude de foi que cette mort ne sera pas la mort avec un grand «M», l’anéantissement ou l’absence de Dieu.

La foi au Christ ressuscité élargit d’une façon incroyable les perspectives de l’humanité. Quand nous sommes en butte à nos étroitesses, nous comprenons qu’elles ne sont que passagères. Cette certitude doit dilater notre cœur. Si nous sommes amenés à communier aux souffrances du Christ, c’est pour pouvoir communier à la joie de la Résurrection. Comment ne pas vivre avec une espérance invincible? Oui, frères et sœurs, pour nous aussi, il y aura un matin, dans le Jardin de la Résurrection, où le Christ viendra à notre rencontre et nous appellera par notre nom et nous disant, comme à Marie de Magdala et à l’autre Marie: «Je vous salue!»

Dans l’espérance bienheureuse de ce jour disons sans cesse: Alleluia! Viens Seigneur Jésus!