Homélie du 26 novembre 2017 - 34e dimanche du T.O. du Christ roi

Le pasteur, le cocher et le jardinier

par

fr. Loïc-Marie Le Bot

Dans les grandes civilisations anciennes, on utilisait des images pour décrire la fonction du roi ou du chef. Dans la pensée grecque, on comparait volontiers le chef à un cocher. Il devait mener la cité comme un attelage formé de plusieurs chevaux solidaires entre eux, bien attachés les uns aux autres. Ensemble, ils tiraient le char de l’État. Le cocher rendait le service de le conduire. Avec les rênes et grâce aux mors, il orientait la course des chevaux à droite ou à gauche, il pouvait aussi les ralentir. Avec le fouet, il savait les stimuler pour qu’ils accélèrent quand il le fallait.

Dans la pensée chinoise, le chef est volontiers comparé à un jardinier. Il sait disposer les personnes comme les plantes d’un jardin d’agrément ou celles d’un potager. Il sait laisser faire la nature, il sait compter sur des forces qui le dépassent comme le soleil et la pluie. Il se dépense à créer de l’harmonie. Les plantes poussent toutes seules. Contrairement au cocher grec qui freine et fouette, le jardinier chinois sait que l’on ne fait pas pousser des tomates en tirant dessus. Il est patient. Mais, il sait s’approprier la récolte en usant du sécateur.

Enfin, dans la civilisation moyen-orientale ancienne, en particulier celle d’Israël, on aime décrire le roi comme un berger. Un berger guide son troupeau, mais il ne le conduit pas comme un attelage : il n’a pas de fouet ni de rênes. Il ne se contente pas non plus de regarder le troupeau de loin, comme le jardinier son jardin, ni de le tenir sous sa bride, comme le cocher.

Les brebis ont besoin de lui car elles ont une propension à se disperser. Il sait maintenir l’unité entre elles. Il sait aussi voir plus haut qu’elles pour les conduire vers les prairies grasses où elles peuvent se nourrir et se reposer. Il sait enfin les protéger avec sa houlette. Ce bâton n’a pas été fait pour frapper les brebis, mais bien pour les défendre.

Cette image du berger, c’est celle qui est choisie par Dieu lui-même pour nous montrer comment il gouverne, et comment les chefs humains doivent gouverner. Devant la double difficulté de guider les hommes vers les eaux du repos et de requérir la faiblesse de bergers humains, le Seigneur a promis qu’il viendrait lui-même guider et protéger son troupeau.

C’est donc Jésus qui est notre pasteur. Il l’a lui-même affirmé : « Je suis le bon pasteur. » Il va faire l’unité du troupeau, nous mener vers les vertes prairies et nous protéger des loups. Il va chercher la brebis perdue et la ramène sur ses épaules. Il n’est pas comme le mercenaire qui s’enfuit devant le danger. Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. Telle est la note propre que Jésus apporte à l’image du pasteur. Il ne dit pas seulement la convenance que le bon pasteur donne sa vie, jour après jour, pour s’occuper de ses brebis. Il fait cela, il prend soin de nous en nous donnant sa bonne nouvelle et en nous donnant son Esprit-Saint. Il nous démontre que ce ne sont pas seulement des mots, mais la réalité. Dans sa Passion, il se montre au plus haut point comme le pasteur qui attire à lui tous les hommes, il se révèle comme notre roi. Ce n’est pas par hasard qu’au moment de la Passion le titre de roi est attribué à Jésus par ses accusateurs, tel Ponce Pilate : « Alors, tu es roi ? » D’où d’ailleurs son titre de condamnation : « Jésus de Nazareth, roi des Juifs. » Il devient le roi des rois sur la croix en étant couronné d’épines. Là sur la croix, Jésus est comme « institué roi », ou mieux, reconnu roi. Le bon pasteur, notre roi, a donné sa vie pour ses brebis. « Tu l’as dit, je suis roi, mais mon royaume n’est pas de ce monde. »

Maintenant il nous guide, il nous garde et il est toujours avec nous. Aujourd’hui il nous donne, à la façon d’un testament, la prophétie du jugement dernier. Si nous avons le Christ comme roi, nous chercherons à le voir et à le servir. Ce roi crucifié et humilié continue à venir vers nous à travers ses frères, et plus précisément à travers ceux qui ont faim, soif, ceux qui sont nus, en prison ou malade. Notre roi perpétue sa présence également dans les frères qui nous sont donnés. Pour faire partie de son troupeau et être conduit sur les vertes prairies, il nous suffit de servir nos frères. Il suffit en définitive de ne faire que ce que notre roi a fait : servir ses frères. Servir, c’est régner. Être serviteur, c’est être roi. Amen!