Homélie du 11 janvier 2009 - Baptême du Christ

Remontant de l’eau, Il vit les cieux se déchirer

par

Avatar

On aimerait bien savoir comment s’imaginer ce phénomène d’un véritable déchirement des cieux. On arrive bien à imaginer un ciel déchiré par des éclairs pendant la nuit, mais voir le ciel se déchirer carrément et éventuellement apercevoir ce qui se cache derrière, nous n’osons peut-être même pas nous imaginer cette possibilité, car il est possible que cela nous dérange comme ce fut le cas pour Hérode et pour la ville de Jérusalem qui auraient préféré ne pas avoir rencontré les Mages annonçant des nouvelles bouleversant le train train quotidien. Que tout reste comme cela a toujours été et que rien ne change, bref, qu’on nous laisse tranquille.

Mais à partir de la nuit de Noël, à partir du moment où les chants des anges ont retenti rien n’est comme avant, tout a changé. La venue de Jésus sur notre terre, la venue de Jésus dans notre chair est le commencement de notre rédemption, et la création toute entière ne peut s’empêcher de manifester sa joie et le ciel se déchire. La manifestation du Christ aujourd’hui à son baptême nous laisse entrevoir déjà de loin à l’horizon la croix, le signe par excellence de l’amour du Christ pour nous. Aujourd’hui Jésus réalise ce qu’a préfiguré Jonas dans l’ancien testament quand il dit: «Prenez moi et jetez moi dans la mer» (Jonas 1, 12). Jésus prend notre place, la place du pécheur pour changer notre «non» du péché en un «oui» de l’amour. Ce que Jésus nous manifestera plus tard par la croix, il le manifeste et le dit déjà aujourd’hui à chacun de nous: je ne regrette pas de t’avoir créé, je ne l’ai jamais regretté et je ne le regretterai jamais. Malgré tes innombrables infidélités, je te redis aujourd’hui: il est très bon que tu sois là, oui, je t’aime et je ferrai tout pour que nous soyons vraiment un. Il faudrait juste, que tu prennes la main que je te tends et que tu me suives et toi aussi tu verras le ciel se déchirer et tu entendras la voix qui dit: «Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur.»

Voir le ciel se déchirer semble donc être lié à une condition, la condition de s’unir à ce oui créateur de Jésus. Ce «oui» n’est pas un simple mot, ce «oui» est toute une attitude intérieure qui est nourrie par la ferme conviction que rien ne peut me séparer de l’amour du Christ. Dieu m’a créé et encore plus magnifiquement recréé, cela veut dire qu’il n’a jamais et qu’il ne retirera jamais ce premier oui à mon existence – au contraire, il le redit et me redonne de la vie à chaque battement de mon cœur. Chacun de nous est donc en permanence nourris par cette source de l’amour du Christ qui seule me tient en vie. Autrement dit, je ne vis donc jamais dans une stricte indépendance et même ceux qui prétendent ne pas avoir besoin de Dieu pour respirer ne pourraient absolument rien faire si Dieu ne les tenait pas en permanence dans sa main comme l’argile dans la main du potier.

Il est évident que celui qui croit vivre en totale indépendance vis-à-vis de Dieu et qui s’enferme quasiment dans une cage de fer parce qu’il ne veut rien voir d’autre que lui-même, celui là ne pourra jamais voir le ciel se déchirer, car il ne le veut pas. Celui par contre qui reconnaît sa dépendance et sa faiblesse, verra se déchirer le ciel à des moments où il ne le pensait même pas. Il comprendra, que même les maladies, les catastrophes et tous les drames de notre monde ne pourront jamais le séparer de l’amour créateur du Christ.

Un Hérode dans son enfermement en lui-même n’aurait donc jamais vu le ciel se déchirer. Mais par contre ce ciel se déchira pour un prisonnier célèbre dans le camp de concentration d’Auschwitz. C’est Viktor Frankl qui écrit: «Pour la millième fois tu recommences à envoyer tes lamentations et tes questions vers le ciel. Pour la millième fois tu t’efforces à chercher une réponse, tu t’efforces à chercher le sens de tes souffrances, de ton sacrifice, le sens de ta mort lente… Dans une dernière révolte contre la tristesse d’une mort qui est devant toi, tu sens transpercer cette grisaille de ton esprit qui t’entoure; et dans une dernière rébellion tu sens comment ton esprit s’échappe de tout ce monde misérable et absurde et que sur tes dernières questions sur le sens ultime – tu ne sais pas d’où – un «oui!» victorieux jubile à ton oreille. Et à cet instant-là s’éclaire au loin une lumière à la fenêtre d’une ferme ‘et lux in tenebris lucet’, et la lumière brille dans les ténèbres» (FRANKL, V. E., ? trotzdem ja zum Leben sagen, München, Dt. Tb.-Verlag, 2004, p. 70, traduction AHK).

Frères et sœurs, pour Viktor Frankl le ciel s’est déchiré au sein d’un camp de concentration et une petite lumière illuminait le couloir de l’enfer. Le ciel peut se déchirer aussi devant nos yeux, si nous restons attentifs. Nous ne sommes pas faits pour nous enfermer ici-bas comme Hérode l’a essayé; nous sommes faits pour l’éternité. Le ciel déchiré par le «oui» de l’amour divin nous montre que notre temps est déjà imprégné par l’éternité et rien ne peut nous séparer de ce «oui» du Christ. Il faudrait juste que ce «oui» divin imprègne tout notre cœur pour que, dès maintenant, nous voyions briller la lumière de l’éternité à travers un ciel déchiré.