Homélie du 15 janvier 2006 - 2e DO

Un roulement, trois coups …

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Un roulement, trois coups… Ce roulement et ces trois coups nous sont bien connus. Ce sont ceux qui retentissent avant le lever de rideau. Le roulement, c’est le temps de l’avent. Les discussions ordinaires, les bavardages se taisent et notre attention se dirige vers la scène. Seul le rideau se trouve éclairé et la salle est plongée dans l’obscurité.

Les trois coups, ce sont les trois messes de Noël où se célèbre la triple naissance du Christ: dans l’éternité, dans notre temps et finalement dans nos âmes. Mais cette triple naissance demeure obscure et mystérieuse comme encore derrière le rideau du temps ou du mystère. Et enfin le rideau se lève sur le premier acte. Il faut bien alors reconnaître que les règles classiques du genre théâtral sont en pleine déroute.

D’unité de lieu, point: nous sommes promenés des bords du Jourdain aux noces de village à Cana, en passant par cet endroit mystérieux où demeure Jésus.

D’unité de temps, encore moins: toute une semaine se déroule sous nos yeux et encore, avons-nous trois jour d’un côté suivi d’un surlendemain.

Quant à l’unité d’action, elle semble aussi décousue que les décors successifs qui l’accueillent.

Pourtant, à y regarder de plus près, les noces qui achèvent ce premier acte n’ont de sens qu’en fonction des sept jours que l’évangéliste saint Jean place au commencement de son Évangile.

Cette semaine est comme une lente montée, une lente préparation des noces de celui que saint Jean-Baptiste présente comme «celui que vous ne connaissez pas et qui se tient au milieu de vous». Jésus au cours de cette semaine inaugurale organise ces noces d’époux véritable. Il veut y être, à la fois, l’Agneau de Dieu qui est au cœur du festin à venir et celui qui invite et assigne une place à chacun de ceux qu’il appelle et qui rentrent avec lui en invité dans la salle des noces. Il fait même si bien, que lui, que nul ne connaît, rejette dans un parfait anonymat le marié du jour. Il prend toute la place. En changeant l’eau en vin au cours de noces, le Christ se met au centre de tout et manifeste le mystère de sa personne et de son œuvre. En ce jour, tout l’Évangile se manifeste dans sa gloire.

Car l’Évangile n’est rien d’autre que ceci: Dieu s’est uni à l’homme et s’y est uni pour que l’humanité ne fasse plus, d’une certaine manière, qu’une seule chair avec lui. Dans la personne du Christ, se joue le jeu subtil de la distance et de l’unité entre deux univers. Le changement de l’eau en vin dans le cadre de ces noces n’exprime rien d’autre. Et par là s’achèvent non seulement l’acte premier mais déjà en quelque sorte toute la pièce.

Tel fut le «commencement des signes de Jésus». De même qu’«au commencement… l’Esprit de Dieu planait sur les eaux» Jésus reprend tout à la racine. Et pour cela, Il se sert à merveille de l’ambivalence de l’eau. L’eau n’est-elle pas source et fécondité de la création et de la vie. Sa pureté est signe d’innocence et de fidélité. Elle manifeste la soif des bénédictions divines qui saisissent la création dès son premier matin. Mais parce qu’elle est aussi instrument de justice dans toute l’ancienne Alliance, l’eau est instrument de mort et de destruction. Tel l’ennemi qui dévale, elle emporte tout. Elle est comme le temps qui s’écoule et que l’on peut si facilement gaspiller. Pilate, en se lavant les mains, en fera le symbole de l’injustice et de la lâcheté: tout son contraire.

C’est dans ces jarres d’eau des purifications, c’est-à-dire dans l’eau de la justice et de la justification que Jésus demande de puiser l’eau qu’il y fait verser. Comment ne pas y reconnaître tous ceux qui sont en dehors de l’Alliance, loin de Dieu non seulement par le péché, mais bien plus encore, par l’ignorance de sa justice et de son amour créateur. En puisant dans ces jarres, les serviteurs puisent sans doute dans toute cette tradition des Gentils, des nations païennes dont le terme est ces fameux mages qui avaient couru pour adorer celui qui se tenait inconnu au milieu de son peuple à Bethléem.

C’est de cette eau que Jésus se sert pour en faire du vin. Mais là encore, nouvelle ambivalence. Si le vin est chez les prophètes le signe des bonnes dispositions religieuses et dans le Cantique des cantiques celui de la joie de l’amour, le témoignage de l’amour que l’époux porte à l’épouse, il est aussi, dans l’ancienne Alliance, le symbole des séductions de la prostitution, c’est-à-dire de l’idolâtrie. Il est encore ce qui cause l’oubli de sa dignité et Noé en en buvant un peu trop vite l’a bien expérimenté. Et par là, il devient le signe de cette colère de Dieu qui se donne à boire jusqu’à la lie à ceux qui s’éloignent de l’amour jaloux du Sauveur de son peuple et de son alliance. Mais ce vin de l’ancienne alliance est épuisé. «Ils n’ont plus de vin»; l’ancien témoignage de l’amour jaloux de Dieu est arrivé à son terme de même que la loi de Moïse trouve son accomplissement dans le nouvel Époux. Le vin des noces anciennes est comme rejeté dans l’ombre à l’image de ce malheureux marié qui ne peux que constater la valeur de ce vin nouveau.

Car c’est un vin nouveau que Jésus procure aux convives; c’est un vin nouveau qu’il fait distribuer à ceux qu’il invite à ces noces à lui. Car c’est en lui que s’accomplissent toutes les promesses faites aux descendants d’Adam et Ève, aux fils de Noé comme à ceux d’Abraham. Le Christ réalise en lui ce dont cette eau et ce vin étaient à la fois l’annonce et les pâles copies: il est l’époux en qui il n’y a plus ni Juif ni Païen car il dispense à tous les dons de la nouvelle Alliance qui se fera dans son sang; il est la pureté de la justice et de l’amour de Dieu car le Père a fait de lui notre sagesse, notre justice, notre sainteté et notre rédemption.

En lui, se restaure l’unité de temps, de lieu et d’action du grand drame de la vie humaine. En épousant l’humanité, le Verbe de Dieu la fait rentrer dans son heure, dans sa mesure et dans son œuvre de salut. Il ramène à l’unité les enfants de Dieu dispersés et éloignés.

Voici l’Agneau de Dieu … Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau … Nous sommes dans la salle du banquet nuptial où se purifient la chair, le cœur et l’esprit. C’est chacun de nos êtres, de nos vies qui rentre dans l’heure du Christ inaugurer aux noces de la Croix.

Désormais, c’est dans l’Église, corps du Christ, c’est par l’Église que le Sauveur veut introduire l’humanité dans ce mystère d’union à Dieu et rester parmi nous. L’Église est la restauration de l’unité de lieu où se jouent les noces de l’Agneau

L’heure du Christ est devenue le temps de l’Église dans lequel nous rentrons aujourd’hui. Le temps de l’Église restaure l’unité de temps du drame du Salut car nous sommes dans la dernière heure, le temps de la patience de Dieu.

Quant à l’unité d’action, c’est celle du Christ qui agit par son Église et nous invite à prendre la place qu’il nous assigne par ses grâces par lesquelles nous embellissons son épouse en travaillant à nous enrichir par le fruit de ses dons.

Le Christ réalise en nous, dans son Église, ce qui était depuis toujours écrit par la sagesse du Père. L’ambivalence n’est plus entre l’eau et le vin, mais entre le vin et le sang, entre la joie des noces du royaume et son ivresse et la radicalité qu’implique la pureté de la justice et de l’amour de Dieu.

Nous voilà donc invité à monter sur la scène de la rédemption et de la sainteté. Mais c’est à sa Mère que le Christ laisse le soin d’indiquer le rôle que l’Esprit Saint veut nous faire jouer: «Faites tout ce qu’il vous dira»

Amen.