Homélie du 1 mai 2008 - Ascension
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Il est des opérations de jardinage très délicates. Transplanter un arbre d’une terre dans une autre en est une car il y va de la survie de l’arbre transplanté. De fait, si la racine principale, le pivot, est un tant soit peu blessée, la transplantation échoue et l’arbre crève. Au contraire, si le pivot reste intact, la vie reprend le dessus et l’arbre est sauvé.

Or, voici quarante jours, c’est toute l’humanité qui, tel un immense arbre, a été transplantée par le Verbe fait chair d’une terre stérile dans une terre riche et grasse. Par sa passion, sa mort et sa résurrection, celui en qui, par qui et pour qui tout a été fait, celui qui est à la racine de tout ce qui existe, nous a arraché avec lui. Il est ainsi devenu à la fois et la racine et l’arbre de l’humanité nouvelle. Et aujourd’hui, voici que cette humanité nouvelle, dans le Christ, est replantée, transplantée, dans la seule terre qui ne peut jamais décevoir: le cœur du Père.
Il fallait que le Christ ressuscité disparaisse à nos yeux de chair pour que ce qu’il a commencé de faire trouve son accomplissement et son développement. Car il n’est pas venu pour lui mais pour nous. Et s’il est venu pour nous, c’est pour que nous soyons des fruits de gloire du Père. Pour cela, il remonte vers le Père afin que nous le connaissions non plus selon la chair, fut-elle ressuscitée, de manière trop humaine, mais bien selon la grâce par laquelle il nous saisit et nous attache à lui. Sur terre, le Christ a offert son corps de chair et donné sa vie humaine pour nous à son Père. Du ciel, avec l’Esprit-Saint, il donne sa vie divine et nous offre au Père.
Il nous appelle à nous élever avec lui, par lui, à la dignité de membre de son Corps qu’est l’Église. Mais pour s’élever jusqu’à cette dignité, pour suivre le Christ là où il se trouve, encore faut-il que tout notre être, notre esprit et notre cœur, soit élargis, fortifiés et unifiés en entrant à l’école du Christ où nous devenons ces disciples.

Être disciple du Christ, c’est d’abord avoir cette grandeur d’âme qui nous fait connaître et rechercher les grandes choses. Loin de nous replier sur nos mesquineries ou nos pauvretés, il s’agit au contraire de rechercher tout ce qui donne du poids à notre vie non devant les hommes, mais devant le Sauveur. Être disciple du Christ, c’est donc n’avoir pas d’autre ambition que de rechercher ce qui fait honneur au Christ parce que nous sommes enracinés dans la vérité de l’Esprit-Saint.
Mais pour cela, faut-il encore posséder cette force d’âme par laquelle s’achève toute perfection et qui se puise dans l’amour de Dieu et du prochain. Cette force d’âme, née de la toute-puissance du Christ, se forge dans la pratique des commandements et embrasse toute la vie. Elle nous fait tenir jusqu’au bout car elle nous libère de toute fausse attache en nous enracinant dans la liberté de l’Esprit-Saint. «Aime et fais ce que tu voudras» disait saint Augustin. Certes, mais aimons alors comme le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle. Le Christ n’est pas venu abolir la loi et les commandements. En naissant parmi les hommes, il est venu leur donner une chair en les vivant jusqu’au bout; en mourant sur la croix il leur a donné une âme: l’amour qui l’unit au Père.

Mais tout cela serait vain, s’il n’y avait l’unanimité, l’unité des esprits et des cœurs, sans laquelle tous et chacun loin de s’élever ne peuvent que s’effondrer sur eux-mêmes. N’est-ce pas le lot de toute cité divisée contre elle-même? Mais où trouver cette unanimité qui nous réunifie intérieurement et nous unit entre nous parce qu’elle nous unit à Dieu, sinon dans notre baptême et dans ce qui nourrit notre vie de baptisé?
Nous nous élevons par la nouveauté de notre vie en suivant le Christ là où il est, par les chemins qu’il a pris. Il nous faut donc le suivre dans sa passion, sa résurrection et surtout son ascension. Et où trouver le Christ pour le suivre et être élevé par lui si ce n’est dans les sacrements? C’est par eux que Jésus nous fait entrer en contact visible avec lui. C’est par eux qu’il continue à plein sa mission en demeurant parmi nous jusqu’à la fin des temps. Par eux, il est pour nous la racine, la source de toute vie nouvelle et de toute vrai fraternité.

Mépriser la vie sacramentelle, c’est non seulement mépriser notre propre chair mais aussi la chair glorifiée du Christ. Par chaque sacrement, nous rentrons dans le mystère du Christ et nous grandissons et fortifions notre propre mystère. Par chaque sacrement, nous devenons un peu plus la chair du Christ en ce monde car par chaque sacrement, le Christ édifie son corps. Puisqu’un sacrement est un geste qu’une parole accompagne, par eux, Jésus poursuit, dans et par l’Église, ce pourquoi il est venu: enseigne, élever et guérir.

Nous sommes ici avec lui sur la montagne où il nous donne notre mesure d’Esprit-Saint et de grâce qui illumine nos esprits et fortifie nos cœurs.

Comme sur le mont des béatitudes, il élève notre esprit en l’illuminant par sa parole et fait de nous des disciples qui désirent de grandes choses par une conversion sincère.

Comme sur le Thabor, il nous communique de sa lumière et de sa force pour fortifier notre âme sur le long chemin en portant le joug de la charité et le fardeau des commandements de l’amour.

Comme sur le Golgotha, il nous donne sa vie et nous introduit dans sa famille, l’Église, faisant de nous un rameau solidement uni au grand arbre de la croix pour la plus grande gloire de celui qui nous l’avait envoyé.