Homélie du 23 novembre 2008 - Solennité du Christ-Roi
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Voici qu’aujourd’hui, frères et sœurs, nous nous aventurons dans les eaux quelque peu agitées qui nous précipitent de Charybde en Scylla. En célébrant la royauté du Christ, nous risquons-nous pas, en effet, de nous heurter à un double écueil. Tout d’abord, comment tenir ensemble la sollicitude divine manifestée dans le livre d’Ézéchiel, avec ce jugement définitif et sans appel qu’opérera le Christ à la fin des temps ? Ensuite, à l’heure où tout peu devenir citoyen sans que l’on ait toujours l’impression que cela devient plus civique, acclamer le Christ-Roi ne nous envoie-t-il pas sur une autre planète avec ses références dépassées ?

Parler de royauté, de fait, cela revient bien souvent à évoquer les notions d’absolutisme, de sujétion, d’intransigeance que l’histoire aurait renvoyées aux oubliettes avec les lettres de cachet et autres bastilles. Les monarchies modernes comme les républiques les auraient remplacées par les bienfaits de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

Et pourtant, de par notre foi et en toute fidélité, nous devons acclamer le Christ comme roi et affirmer que sa royauté est absolue et qu’elle s’exerce sur des sujets qu’elle dirige avec un sceptre de fer. Et il faut bien qu’il soit de fer, ce sceptre, car il est à la fois l’axe autour duquel tout doit tourner et la main de justice qui doit assurer un règne de vie et de vérité, de grâce, de sainteté, de justice, de charité, d’amour et de paix. Il rappelle que toute vie personnelle et sociale ne trouve son plein accomplissement et sa pleine mesure qu’en se soumettant à la justice et à la miséricorde de Celui que le Père nous a envoyé pour faire de nous les sujets et les concitoyens de son Royaume.

Ainsi donc, le Christ est roi et il règne. Il règne parce qu’il est au principe du double droit par lequel on appartient à son royaume. Le droit du sol tout d’abord par lequel tout est dans sa main. Le Christ est le Verbe en qui et pour qui tout a été fait. En lui nous avons le mouvement et l’être. En prenant chair de la Vierge Marie, il a tout récapitulé en lui et en se manifestant à la création par son Incarnation, il en est devenu le sommet. Le droit du sang, en suite. Il attire à lui tous ceux qu’il a pris les moyens de venir chercher et qui s’approchent du trône qu’il s’est choisi, la Croix. C’est d’elle que s’écoulent les grâces qui constituent en peuple nouveau, en race choisie, en sacerdoce royal, les concitoyens qu’il s’est choisis.

Mais si le Christ règne, il n’est pas comme ces rois constitutionnels qui se contentent de rester assis sur leur trône. Non seulement il règne, mais en raison de sa double légitimité de créateur et de rédempteur, il gouverne et il gouverne par des lois afin qu’étant rattaché à lui intimement, nous le servions en tout. Ainsi, apprend-on à se servir des deux mains nous disposons : la main de la justice et celle de la charité. Souvent la charité précède la justice car elle nous rend plus sensibles en nous plaçant plus près de celui qui est source de tout compassion. Mais souvent elle ne fait que suppléer et préparer ce qui doit être reconnu ou accordé en strict justice. Nos deux mains s’exercent en puisant dans le trésor de l’expérience de l’Église que constituent cette doctrine sociale qui veut, dans la charité et la justice, faire droit à l’intégrité de la nature humaine, à la fois individuelle et sociale, afin qu’elle devienne vraiment sujet, personne.

Mais cela reste partiel. A l’image du Christ en qui charité et justice ne font qu’un, il nous faut aussi unifier en nous justice et charité : que notre justice soit la charité et que notre charité soit droite, c’est-à-dire ajusté à celui qui nous justifie pour qu’unis à Dieu nous soyons unifiés en nous-mêmes et unis à ceux qui partage la même vie naturelle et surnaturelle.

La fête du Christ Roi ferme les portes d’une année et en ouvre une nouvelle. Le chemin de l’Avent est cette voie royale qui nous apprendra à passer entre Charybde et Scylla pour qu’unifiant notre vie dans la grâce de l’Esprit-Saint, nous parvenions sans encombre dans la plénitude de la charité et de la Justice, lorsque revenant parmi les siens, le Christ remettra sa royauté entre les mains du Père. Alors nous lui seront pleinement semblables, dans la justice et la charité, car nous verrons Dieu tel qu’il est et qu’il sera tout en tous.Amen.