Homélie du 10 avril 2009 - Office de la Passion
fr. François Daguet

La liturgie que nous célébrons en ce moment est l’une des plus graves de l’année. Nous percevons bien que, quels que soient nos efforts, nous ne parvenons pas à être en phase avec le mystère que nous célébrons. C’est pourquoi d’ailleurs ces quelques mots sont donnés avant la lecture de la Passion. Quel prédicateur oserait ajouter son commentaire à la lecture de la Passion du Christ? Il faut laisser ce récit, le sommet de toute l’Écriture, résonner dans le silence de nos cœurs.

Si une personne totalement étrangère à la foi chrétienne entrait dans cette église, quel étonnement serait le sien, quelle incompréhension! Car ce n’est pas une liturgie séduisante pour les sens que nous célébrons: c’est une personne crucifiée qui est aujourd’hui l’objet de notre adoration, c’est un instrument de supplice, la Croix, que nous vénérons. Le Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, comme le dit saint Paul.

Vous savez bien que notre rapport à la Croix du Christ oscille entre deux extrêmes qui ont l’un et l’autre, selon les lieux et les époques, marqué la vie du peuple de Dieu. D’un côté, on peut être porté à ne regarder que la souffrance de la Croix, on va développer une piété doloriste, voire une mystique de l’holocauste, qui est toujours suspecte de s’accommoder – peut-être de se réjouir – du mal et de la souffrance. D’un autre côté, et souvent en réaction au mouvement précédent, on ne veut regarder que la bonté et la miséricorde de notre Dieu et Père, on évacue le sacrifice de Jésus de la Révélation, et bientôt de la liturgie, on ne veut voir que les merveilles de Dieu sur la terre.

La vérité de notre foi chrétienne n’est pas quelque part entre les deux, elle est autre. Elle est en Jésus lui-même, Dieu fait homme, qui vient pour nous souffrir le sacrifice de la Croix, pour nous donner la vie, pour nous donner sa vie de Fils de Dieu. Il n’y a pas de Croix sans Jésus, et il n’y a pas de Jésus sans la Croix. C’est la Croix de Jésus que nous vénérons, c’est Jésus sur la Croix que nous adorons, parce que c’est du côté de Jésus crucifié que nous est donnée la vie, l’Esprit-Saint qui jaillit de son cœur comme des fleuves d’eau vive. Voilà la façon qu’il a de nous dire son amour.

Ce que nous célébrons aujourd’hui n’est pas seulement la mémoire de ce que Jésus a vécu il y a deux mille ans, mémoire que nous répéterions chaque année, au rythme des années liturgiques. Chacun de nous est directement et personnellement concerné par l’acte accompli par Jésus il y a deux mille ans. Comment soutenir cela sans céder à une conception un peu magique de la rédemption? Celui qui remet sa vie pour nous entre les mains du Père, celui qui accepte d’être crucifié sans se débattre n’est pas un homme ordinaire, un bouc-émissaire sur qui se porterait la violence d’un peuple. Il est le Verbe de Dieu fait homme, celui en qui chacun de nous a été créé et est configuré, et il est, si l’on ose dire, plus encore. Il est aussi la tête de son corps, qui est l’Église, c’est-à-dire concrètement de chacun de nous, car par notre baptême nous sommes devenus membres de son corps. Celui qui a été crucifié il y a deux mille ans est celui qui, aujourd’hui, est notre tête. Il a porté le péché du monde, ainsi que l’a dit le Précurseur, mais la généralité de la formule ne doit pas nous égarer: c’est notre péché qu’il porte sur le bois, comme le dit Pierre: « C’était nos péchés qu’il portait dans son corps sur le bois, afin que morts à nos péchés nous vivions pour la justice. » C’est notre péché personnel, celui de notre vie, celui d’aujourd’hui que Jésus à Gethsémani a mystérieusement pris sur lui jusqu’à en suer du sang. [Le Christ, disait Blaise Pascal, est en agonie jusqu’à la fin du monde]. C’est notre péché à chacun qui l’a cloué sur la Croix, qui le cloue sur la Croix et qui, en même temps, devient pour lui l’occasion – terrible occasion – de nous donner sa vie.

Alors nous saisissons un peu mieux le sens de notre liturgie. Ce n’est pas la mémoire d’un évènement lointain, ce n’est pas un rite un peu magique, ce n’est pas une démarche morbide que nous accomplissons en vénérant la Croix sur laquelle Jésus est pendu. Nous venons rendre hommage – le pauvre hommage d’une créature qui se sait pécheresse – à celui qui aujourd’hui nous délivre de notre péché d’aujourd’hui. C’est quelque chose d’actuel que nous célébrons, c’est l’actualité de l’acte éternel accompli historiquement par Jésus il y a deux mille ans. C’est le salut qui nous est aujourd’hui donné. Alors nous ne sommes plus effrayés lorsque nous nous approchons de cette Croix, parce que c’est de Jésus que nous nous approchons, afin de recevoir de lui le salut qu’il nous offre. Alors nous ne sommes plus anéantis lorsque la Croix se présente en certains jours de nos vies, parce que c’est toujours Jésus qui est dessus pour la porter pour nous et avec nous. Alors nous ne sommes plus accablés par la contemplation du sacrifice de Jésus parce qu’il est déjà source de vie, promesse de vie, espérance pour notre vie.

Il n’y a pas de salut ni de vie sans Jésus crucifié, mais il n’y a pas de Croix sans la lumière de la Résurrection: telle est notre foi, telle est notre espérance.

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