Homélie du 2 novembre 2014 - Commémoraison des fidèles défunts
fr. Arnaud Blunat

Si la Toussaint est une fête très catholique, le culte des morts est quant à lui commun à de nombreuses traditions religieuses. Prier pour les défunts, c’est certainement l’un des actes humains les plus anciens. Depuis les origines l’homme est hanté par la mort. La disparition de nos proches est et reste un drame, une épreuve, source de chagrin mais aussi et parfois d’incompréhension, de peur, d’angoisse. Pourquoi la mort? Où va-t-on après la mort? Peut-on encore faire quelque chose pour ceux qui sont morts?

Le livre de la sagesse nous dit que «Dieu n’a pas créé la mort mais il a fait l’homme pour l’incorruptibilité». La mort, telle que nous l’expérimentons, n’est entrée dans le monde que par l’envie du diable (Sg 2, 24). La mort révèle la limite de notre existence mais aussi la présence du péché en cette vie sur la terre. Elle révèle finalement que l’homme est bel et bien fait pour la vie et la vie éternelle. Mais ce n’est pas lui qui peut se la donner à lui-même. Alors, si nous croyons que nous venons de Dieu, nous croyons qu’après notre mort nous retournerons vers lui. Lorsque nous mourrons, nous passerons du côté de Dieu. Nous irons auprès de lui.

A toutes les époques, tout a été dit au sujet de la mort. Innombrables sont les théories, les croyances sur l’au-delà, les relations entre les vivants et les morts, les expériences que certains auraient faits entre la vie et la mort. Mais le fait est que nous savons bien peu de choses. Personne n’est vraiment revenu de la mort, sinon Jésus lui-même. C’est lui qui est en mesure de nous parler de la vie après la mort, puisqu’il est passé par la mort et est ressuscité d’entre les morts. Et c’est en lui que nous avons la Vie. Ce que Jésus nous dit est toujours en lien avec son Père. C’est de chez lui qu’il vient, c’est auprès de lui qu’il veut nous emmener et nous établir. Ainsi qu’il l’avait dit à ses disciples: «je pars vous préparer une place, je reviendrai vous prendre avec moi; là où je suis, vous y serez aussi» (Jean 14, 3).

Le discours du Pain de Vie dont nous venons d’entendre un extrait, en Saint Jean, est un enseignement fondamental pour comprendre à quelle vie nous sommes appelés. Il peut se résumer en trois points qui s’enchainent les uns aux autres: Jésus veut nous ressusciter et nous faire vivre éternellement avec lui. Pour vivre éternellement, il nous faut apprendre à demeurer en lui et le laisser demeurer en nous, il nous faut apprendre à vivre en communion avec lui. Pour être ainsi en communion avec lui, il faut manger sa chair et boire son sang.

C’est donc en vivant de l’eucharistie que nous nous préparons déjà à vivre dans l’éternité. L’eucharistie que nous célébrons est déjà l’anticipation du festin du Royaume, un festin entrevu par Isaïe, évoqué dans le livre de la Sagesse, mais aussi à maintes reprises dans les psaumes, dans les paraboles de l’évangile.

En chaque eucharistie, l’Église prie pour tous les défunts. Au moment de la prière eucharistique, après la consécration, il y a toujours une mention particulière pour nos frères et sœurs défunts. Certaines personnes trouvent qu’on ne prie pas assez pour les âmes les plus délaissées. Mais comment douter que Dieu puisse ne pas accorder la même attention à tous les défunts? Le sort de tel ou tel dépendrait-il de la ferveur et de l’intensité de notre prière;? Il est vrai que certains hommes meurent dans l’isolement et l’anonymat. D’autres meurent en dehors de toute relation apparente avec Dieu et l’Église. Qu’en sera-t-il de ceux qui ont commis des actes d’une gravité extrême, les tortionnaires, les grands criminels, les dictateurs? Et la liste est encore longue… Dieu pourra t-il accorder sa miséricorde pour ceux qui ne la méritent pas? Notre prière pourrait-elle encore avoir un effet après leur mort? Jusqu’où pourrait aller l’efficacité de notre prière? Une chose est assez sûre: une fois passée la mort, les défunts ne peuvent plus se convertir. Ils sont face à Dieu et devront rendre compte de leur attitude. Les pécheurs qui ont conscience de leur état peuvent certes se purifier et nos prières pourront les aider à accueillir pleinement la miséricorde de Dieu. Ceux qui se seront endurcis et auront refusé toute intervention de Dieu resteront ainsi dans leur endurcissement. Dieu ne pourra rien faire pour forcer leur liberté, si tant est qu’à aucun moment ils n’aient manifesté le moindre remords et demandé le pardon pour tout ce qu’ils auront fait. De fait, nous pouvons toujours espérer qu’un homme, fût-il un grand pécheur, pourra bénéficier du pardon qu’il aura un jour demandé au fond de lui-même.

Autant le mystère de la sainteté a quelque chose d’admirable, autant la condition des pécheurs a quelque chose de redoutable. Quand nous chantons en chaque eucharistie: il est grand le mystère de la foi, nous proclamons que le Christ est mort et ressuscité et nous attendons sa venue dans la gloire! Car il est vraiment venu pour tous les hommes, non pas pour juger le monde mais pour le sauver. Alors l’eucharistie n’est-elle pas la plus belle expression de l’espérance chrétienne? En annonçant le Royaume à venir, elle réalise déjà et rend visible le mystère de la communion des saints.

Que le souvenir de ceux qui nous ont précédés ne nous fasse jamais oublier ceux qui sont autour de nous, ceux que nous devons aimer, à qui nous devons manifester notre sollicitude, notre attention, notre bienveillance, ici et maintenant. L’amour partagé, la charité en acte, est la mesure du bonheur qui nous sera donné en héritage avec tous les saints du ciel!