Le désir de Moïse, « …puisse tout le peuple être prophète » (Nb 11, 29) repris par l’annonce du prophète Joël « Je répandrai mon Esprit sur toute chair… » (Jl 3, 1) ont reçu leur réalisation définitive le jour de la Pentecôte quand saint Pierre, reprenant l’oracle de Joël, déclare désormais accompli une fois pour toutes le don de l’Esprit à toute chair (Ac 2, 17). Le baptême des auditeurs de saint Pierre suit car c’est ce sacrement qui donne à chacun de nous la qualité de prophète. Depuis ce jour, la communauté chrétienne vit de cette Pentecôte « continue » en quelque sorte.
Nous sommes ici au cœur du prophétisme parvenu à sa perfection. Le prophète est depuis toujours celui qui parle au Nom de Dieu, et la perfection du prophétisme tient à la perfection de la parole proclamée. Alors que sous la première Alliance, la prophétie annonçait et préparait le salut à venir, la prophétie de l’Alliance nouvelle et éternelle déclare ce salut accompli une fois pour toutes dans le Christ et sa communication à toute l’humanité.
Ce qui est donc déterminant est le contenu du message. Parler au Nom de Dieu ne requiert pas une intelligence géniale mais cet « instinct » de la foi comme on disait au Moyen Âge, ce « flair » que donne l’Esprit du Christ reçu au baptême. Ne nous arrêtons donc pas à celui qui parle mais considérons bien plutôt ce qu’il dit. Il n’est pas rare, en effet, qu’une personne chrétienne fort modeste puisse porter une parole très forte qui la dépasse totalement. On peut penser à sainte Jeanne d’Arc ou à sainte Bernadette de Lourdes. Nous n’avons besoin d’aucune délégation de qui que ce soit pour parler au Nom du Christ, mais seulement de la fidélité à l’Esprit du Christ dans la communion ecclésiale.
Oui mais…
Considérer ce qui est dit est bien premier mais ne peut pas être séparé et encore moins opposé à la considération de celui qui le dit. Car le lien entre le témoin et le témoignage est très fort. Ce n’est pas le prophète qui fait la vérité de ce qu’il dit puisque cela lui est donné par l’Esprit. Mais l’Évangile d’aujourd’hui nous dit qu’on peut être occasion de chute pour celui qui croit, notamment les petits, et en ce cas c’est bien le contenu du message qui peut être décrédibilisé par le mauvais témoin. Celui qui a personnellement chuté peut faire chuter autrui. Et la chose est si importante et si grave que si tel ou tel aspect de notre vie est susceptible de nous faire chuter — l’Évangile prend l’exemple de la main, du pied et de l’œil — pourtant bons en eux-mêmes, il faudra y renoncer tant pour son propre salut que pour le salut de ceux qui seraient exposés à chuter à cause de nous.
L’épître de saint Jacques pointe un des dangers majeurs qui nous guette dans notre culture occidentale : l’abondance des biens terrestres. Cette situation pose des questions redoutables d’abord au plan de la justice envers ceux qui n’ont pas part à cette richesse mais, plus grave encore, cette situation sème dans le cœur du riche un orgueil d’auto-suffisance en refusant le Créateur et le Sauveur. L’orgueil n’est pas un péché parmi d’autres, il est la source de tous les péchés. Et toute complicité de notre part à cela risque fort d’infirmer l’Évangile que nous professons.
Ce lien de crédibilité entre le contenu du message et la qualité du messager, s’il se voit d’abord au plan individuel, doit être considéré aussi et inséparablement au plan communautaire. La communauté chrétienne qui porte à travers les âges et jusqu’aux extrémités de la terre l’Évangile, doit vérifier l’adéquation en elle de la Parole qu’elle dit au Nom du Christ et sa fidélité au Christ dans sa vie. Et les époques qui se succèdent depuis deux mille ans ne sont pas égales, tant s’en faut, à cet égard. À vrai dire, chaque époque est mélangée de bien et de mal ; notre époque ne fait pas exception à cette constante historique. Cependant la fidélité de l’Esprit donné une fois pour toutes fait que la communauté chrétienne comme telle ne peut pas perdre l’Évangile authentique et les vrais sacrements. De la sorte, et à toute époque, la condition radicale de l’authenticité du prophétisme baptismal individuel est dans la communion avec le prophétisme de toute la communauté servie par les apôtres comme le montre le discours de saint Pierre le jour de la Pentecôte historique qui « continue » aujourd’hui avec leurs successeurs.
Le prophétisme, s’il est la première qualité chrétienne reçue par le baptême, n’est cependant pas la seule. Par le baptême nous avons été configurés au Christ prophète, prêtre et roi. Notre prophétisme appelle donc notre sacerdoce et s’accomplira royalement. Dans la liturgie dominicale du mois d’octobre, il faudra être attentif au sacerdoce avant que tout s’achève au dernier dimanche de novembre, dimanche du Christ-Roi.