Homélie du 15 août 2024 - Assomption de la Vierge Marie

Marie, arche d’Alliance

par

fr. Maxime Arcelin

Vous veniez pour fêter l’Assomption, mais il ne vous aura pas échappé que l’évangile semblait plutôt hors sujet car nous venons de lire l’évangile de la Visitation. C’est que l’Assomption de la Vierge Marie n’est pas racontée par les évangiles, on est donc bien embêté. Certes, on peut se dire que Marie le prophétise dans son Magnificat en célébrant le Seigneur qui s’est penché sur son humble servante et dont le bras puissant élève les humbles. Mais ça peut paraître un peu maigre. On tache de se rabattre sur les autres lectures, mais il est vrai que saint Paul n’en parle pas non plus directement ; il ne reste que ce texte du livre de l’Apocalypse qui nous décrit ce signe merveilleux qui apparaît dans le Ciel, une femme, revêtue du Soleil, la lune sous ses pieds, et sur sa tête une couronne de douze étoiles ! Vous reconnaissez là la manière dont on représente si souvent la bienheureuse Vierge Marie, mais ceux qui ont un peu de dévotion sentent qu’il y a un problème avec cette femme qui n’est pas nommée et qui crie dans les douleurs de l’enfantement alors qu’on dit souvent que la bienheureuse Mère de Dieu a été épargnée aussi par cette peine du péché originel. L’assimilation à la Vierge Marie est possible mais ne semble pas convenir parfaitement.

Mais alors où trouver cette Assomption ? Permettez-moi d’attirer votre attention sur le tout premier verset de cette lecture, juste avant l’apparition du signe grandiose. Il y a eu les sept trompettes qui ont sonné pour faire le grand ménage du Bon Dieu apportant leurs fléaux sur la terre et avec la septième, les vingt-quatre Vieillards entonnent un cantique d’action de grâce et là le sanctuaire du Ciel s’ouvre et l’arche de l’Alliance apparaît, cette arche perdue qu’Indiana Jones va chercher en Égypte ; il peut toujours chercher, s’il avait lu l’Écriture jusqu’au bout, il aurait vu que Jean l’avait retrouvée, dans le Ciel. Et là ceux qui ont un peu de dévotion, ceux qui prient parfois les litanies de la Sainte Vierge, se souviennent que parmi les noms que l’on égrène il y a celui-ci : « Marie, arche d’Alliance, priez pour nous. » Il y a sans doute là une clé, d’autant que si on avait eu la messe de la veille au soir, nous aurions lu un passage du premier livre des Chroniques, les chapitres 15 et 16 qui racontent le moment où David a fait monter l’arche à Jérusalem. Lui le prophète alors fidèle à Dieu, que Dieu a élu comme roi à la place de Saül, qui a conquis toute la terre promise et pris Jérusalem pour en faire la ville de son peuple et donc de son Dieu, se souvient que Dieu avait choisi d’être présent à son peuple d’une manière toute spéciale grâce à l’arche qu’il avait fait construire par Moïse. Mais l’arche était alors complètement oubliée, reléguée à la périphérie de son Royaume, elle avait même été prise par les Philistins. Ceux-ci avaient perçu, aux dépens de leur Dieu, Dâgon, la présence mystérieuse qui se dégageait de cette caisse étrange, étrange car elle ne représentait pas Dieu et qu’elle ne contenait presque rien : les tables de la Loi données à Moïse, le bâton d’Aaron et un peu de manne conservée depuis quelques centaines d’années. Trois fois de suite, ils retrouvent la statue de leur dieu jetée à terre et comme prosternée devant l’arche. Saisis de frayeurs, ils décident de la rendre aux Israélites et l’emportent à Bet-Shémesh. Là, elle est d’abord retrouvée avec joie, mais la curiosité ayant poussé les gens de Bet-Shémesh à regarder dedans, ils furent frappés de mort au nombre de 70 000. Ils appelèrent donc les gens de Qiryat-Yéarim pour qu’ils prennent l’arche et elle demeura là plus de vingt ans, mais elle était presque oubliée en Israël, elle n’était plus au centre du culte ni en soutien des batailles.

David se penche sur l’humble caisse reléguée au fond de son Royaume pour la faire parvenir à Sion, la ville de l’accomplissement de toutes les promesses. On arrive là au chapitre 15 du livre des Chroniques où David fait monter l’arche et il danse de joie en tournoyant devant elle, tandis qu’Asaph est institué pour chanter les psaumes. Les Pères de l’Église ont repris ce motif pour parler de l’assomption de la Vierge Marie. Le Christ, nouveau David, se penche sur l’humilité de sa servante et il la fait monter à la Jérusalem céleste soulevant un cri d’exultation des anges dans le ciel. Avant les Pères de l’Église, saint Luc l’avait bien compris, c’est même lui qui le premier a, si je puis dire, « mis en boîte » la Vierge Marie, qui a fait d’elle l’arche d’Alliance. Il peut se le permettre car s’il nous raconte tous ces épisodes de l’enfance de Jésus, c’est, dit-on, qu’il a passé du temps avec la Sainte Vierge, qu’il l’a longuement écoutée, on dit même qu’il l’a peinte de sa main. Et bien quand saint Luc nous raconte l’épisode de la Visitation, il y cache un motif et ce motif, vous m’aurez vu venir, c’est celui de l’arche d’Alliance. Et oui, Marie, en toute hâte, se met en route pour la région montagneuse de Judée ; l’ange qui la pousse à aller voir sa cousine Élisabeth fait monter Marie dans cette région où on a vu l’arche, entre Qiryat-Yéarim et Jérusalem. Quand la salutation parvient aux oreilles d’Élisabeth, Jean-Baptiste, le dernier des prophètes, tressaille d’allégresse en elle, il fait des tours à l’image du prophète David tournoyant devant l’arche. Alors la vieille cousine « s’écrie d’une voix forte » comme jadis Asaph et sa troupe de chanteurs. Les mots sont les mêmes et veulent bien tisser une comparaison entre Marie et l’arche d’Alliance.

Pourquoi donc ? D’abord parce que l’arche est l’instrument que Dieu a choisi pour venir parmi nous de manière privilégiée. C’est par elle qu’il rejoint le camp d’Israël dans son Exode à travers le désert et cela se manifeste par la nuée qui couvre l’arche de son ombre. Ceux qui ont l’habitude du texte de l’Annonciation reconnaissent les mots de l’ange répondant à Marie qui lui demande comment elle enfantera le fils de la promesse : « La Puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. » En accueillant la parole de l’ange, la Vierge Marie rend présent le Seigneur au monde de la manière la plus haute qui soit. On peut prolonger la comparaison en soulignant que Dieu vient par l’arche et qu’il parle avec Moïse, il prolonge la conversation qu’il a eue avec lui depuis l’Horeb et au Sinaï et d’ailleurs les tables de la loi contenues dans l’Arche en font mémoire, ces tables où sont inscrites les « dix paroles », les dix commandements. Par l’arche, les Hébreux reçoivent la parole de Dieu comme nous recevons le Verbe de Dieu par Marie. Ajoutons que l’arche destinée à porter la parole a été façonnée, commandée par la parole de Dieu : Dieu a donné des instructions précises à Moïse pour confectionner l’arche de même que Marie est le plus beau fruit de la Loi de Dieu reçue par les juifs. Le miracle de la perfection humaine et morale de Marie tient beaucoup au fait qu’elle et sa lignée ont été façonnées par la grâce de la parole de Dieu. On pourrait ajouter que l’arche devait être intacte (Uzza fut frappé pour avoir porté la main sur l’arche) de même Marie est demeurée Vierge ; l’arche était dorée à l’intérieur et à l’extérieur, de même Marie était toute pure et resplendissait par toutes les vertus de la nature et de la grâce…

L’essentiel est sans doute dans ceci : Marie, comme l’arche de l’Alliance, a été façonnée par la Parole de Dieu pour porter cette Parole dans le monde. Mais quand Dieu descend sur l’arche ou dans le sein de Marie, il ne quitte pas les Cieux pour autant ! Il étend son Royaume jusqu’à ces régions inférieures sans quitter son trône et il promet à tous ceux qui le reçoivent de se retrouver un jour à siéger avec lui. C’est ainsi que nous retrouvons l’arche dans les Cieux, c’est ainsi que Marie est élevée dans les Cieux par la puissance du Verbe qu’elle a accueillie en elle. C’est là pour nous un motif d’espérance, car si nous savons que nous n’atteindrons pas la perfection de Marie, en revanche nous sommes ici parce que la parole du Seigneur est parvenue à nos oreilles, que le Royaume des Cieux s’est étendu jusqu’à nos cœurs ; nous sommes ici parce que la parole du Seigneur a commencé un travail sur nous et que nous sommes en mesure de la porter dans le monde, nous avons donc la certitude que nous rejoindrons le Seigneur sur son trône. Réveillant le charisme de prophète reçu à notre baptême, nous pouvons voir Marie entrer dans les Cieux suivie de la longue file des rachetés, nous pouvons tournoyer en bondissant d’allégresse avec David et Jean-Baptiste, car l’assomption de la Vierge Marie, c’est aussi la promesse de la nôtre à venir, pour autant que nous continuions à nous laisser façonner par la parole de Dieu, que nous l’écoutions et que nous la gardions.

Et d’autres homélies…

Effata, ouvre-toi… comme Jésus l’entend !

1. Un mot, une sonorité unique : Effata ! Vous l’avez entendu, mais l’avez-vous écouté ? L’avez-vous laissé résonner en vos oreilles, en votre cœur ? Un mot s’est déposé là, dans un creux d’oreille. Il avait à y laisser quelques syllabes : la Parole de Dieu ! Il est...

Le peuple nouveau de la Loi nouvelle

Nous sommes-nous bien lavé les mains ? Nous l’avons certainement fait, d’abord par souci d’hygiène, une préoccupation tant individuelle que collective pour éviter de contracter et de transmettre. Nous l’avons également fait sans doute au titre de l’habitude. Nous...

Le Corps du Christ : l’Esprit et la vie

Tout au long des dimanches du mois d’août, nous avons lu le chapitre sixième de l’évangile de Jean qui rapporte la multiplication des pains et le grand discours de Jésus sur le « Pain de vie ». Nous lisons ce dimanche la dernière étape, celle où la communauté des...