Avec l’Ami de l’Agneau


En ce temps-là, dans sa prison, Jean-Baptiste entend parler des œuvres du Christ. Car depuis plus d’un an déjà, Jésus parcourt le pays. Sa prédication accompagnée de miracles lui vaut une grande réputation, mais semble-t-il, avec peu de résultat. En tout cas, rien n’indique une conversion générale…
Or Jean-Baptiste ne vit que pour cela, pour établir enfin le Règne de Dieu. Sa vie n’a qu’un but : que le peuple, tout le peuple élu, se convertisse enfin. Grande fut sa joie de baptiser Jésus, de voir en lui le Messie ! Mais aujourd’hui, il s’interroge car le Messie est là mais le Règne de Dieu n’est pas là…
Jean est désemparé ; comme un vertige ; il se demande si Jésus est bien le Messie. Sachant que le temps lui est compté, il envoie ses disciples interroger Jésus : « Es-tu celui qui doit venir — le Messie — ou devons-nous en attendre un autre ? »
À l’époque, on sait que tout Israël attendait le Messie, la grande promesse de Dieu. Mais on l’imaginait en nouveau David, chassant l’armée romaine, et en nouveau Salomon, restaurant la puissance d’Israël, bref le nouveau dominateur des nations. Pour les Juifs, le Messie ne pouvait être qu’un guerrier triomphant.
Jean-Baptiste avait une autre approche. Dimanche dernier, il apostrophait ainsi les Pharisiens : « Bande de vipères, convertissez-vous (car le Messie) va faire le ménage : il gardera le bon grain et brûlera le reste dans un feu qui ne s’éteint pas. » Pour Jean-Baptiste, le Messie est donc un justicier. Ce qui est vrai mais n’est pas l’essentiel.
C’est pourquoi Jésus répond à ses envoyés : « Dites à Jean que vous voyez que j’accomplis les miracles annoncés par le prophète Isaïe, et qu’ainsi la Parole de Dieu s’accomplit sous vos yeux par mes œuvres ! »
Le Messie n’est pas un guerrier, pas même un justicier : il ne s’impose pas. Il agit humblement, par des signes. Ces signes sont ses miracles, certes, mais plus encore des choses invisibles, par exemple : « Les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. »
Le Messie sauvera le peuple non par des batailles ou des jugements éclatants, mais par ses épreuves et par ses souffrances ; non par le glaive mais par sa propre mort. En un mot : le Messie est un Agneau.
On imagine la surprise, la stupéfaction : tu attendais un Lion féroce et rugissant, et voilà que vient un agneau, cet être doux et innocent, destiné à l’abattoir. La réaction des gens est au-delà de la stupéfaction : le déni, le refus, le scandale. Jésus le sait puisqu’il affirme : « Heureux celui pour qui je ne suis pas un objet de scandale, c’est-à-dire une occasion de chute. » D’ailleurs, quand Jésus était encore bébé, Syméon l’avait prophétisé : « Cet enfant sera un signe de contradiction pour la chute et le relèvement de beaucoup. »
Mais dites donc, cette chute, qu’est-ce qui la prépare, qu’est-ce qui la provoque ?
Réponse : cette chute attend quiconque ne reconnaît pas les signes du Messie, ou plutôt cette chute frappera quiconque refuse de voir les signes du Messie.
Certains disent : d’accord, mais dites-nous quels sont ces signes, aujourd’hui ?
Réponse : ce n’est pas le sujet de cette homélie. Vous avez un curé : interrogez-le !
Nous, revenons à Jean-Baptiste et étonnons-nous que lui aussi a dû passer par là !
Pourtant, dans sa terrible situation, apparemment abandonné par le Messie, Jean aurait pu prétendre à un traitement privilégié par Dieu, à ne pas boire cette coupe ! Mais non, il a dû, lui aussi, discerner et reconnaître les signes du Messie. Imaginons-le, écartelé entre d’un côté, la certitude d’être le précurseur du Messie et de l’autre, l’évidence de son assassinat prochain : quel cauchemar, quel scandale !
N’avait-il pas de quoi se révolter, être dégoûté, trébucher de tout son long ?
C’est ce qu’auraient fait la plupart des hommes ; pas Jean-Baptiste.
Car, dit Jésus : « Parmi les enfants des femmes, nul n’est plus grand que lui. »
Plus grand qu’Abraham, le père des croyants ? Oui.
Plus grand que Moïse, avec qui Dieu s’entretenait face-à-face ? Oui.
Plus grand que le roi David, l’ami de Dieu ? Oui.
Plus grand que Salomon, le symbole de la sagesse ? Oui.
Plus grand qu’Élie, le grand prophète invité au Thabor ? Oui.
Plus grand qu’eux tous, par sa fermeté dans l’épreuve, et par sa fidélité inébranlable.
C’est pourquoi Jean-Baptiste mérite d’être notre guide pendant l’Avent.
Car nous aussi passons par bien des épreuves, personnelles et collectives.
Il y a nos chutes individuelles, il y a les désordres dans l’Église, il y a surtout la foi qui s’efface dans le peuple… Pire encore, il y a cet effondrement de la civilisation, quand — par exemple — une grande majorité des politiques élève l’avortement au rang des grands principes de la vie publique… [1] dans l’indifférence générale. Et il est impossible d’échapper à ces épreuves, à ces scandales qui menacent de nous ruiner.
C’est là qu’intervient Jean-Baptiste : il vient nous rappeler l’essentiel.
Frères, quel est l’essentiel de la vocation chrétienne, commune à nous tous ici ?
L’essentiel, c’est d’interroger le Seigneur, de lui parler comme à notre meilleur ami.
L’essentiel, c’est d’être attentif à ses signes donc de garder un œil sur lui nuit et jour.
L’essentiel, c’est de placer toute notre confiance, notre espérance et notre fidélité en l’Agneau de Dieu, à qui seul appartiennent la vraie vie et l’éternité et toute plénitude.
[1] Est-ce pour de pareils moments qu’il est prophétisé dans l’Apocalypse (6, 15-17) : « Les rois de la terre et les grands, les chefs d’armée, les riches et les puissants, tous les esclaves et les hommes libres allèrent se cacher dans les cavernes et les rochers des montagnes, disant aux montagnes et rochers : “Tombez sur nous, et cachez-nous du regard de celui qui siège sur le Trône et aussi de la colère de l’Agneau. Car il est venu, le grand jour de leur colère, et qui pourrait tenir” ? »

