Homélie du 20 mai 2018 - Dimanche de Pentecôte

Ce n’est pas terminé…

par

fr. Ludvik Grundman

Frères et sœurs, ce n’est pas terminé… Tout est accompli, mais tout n’est pas terminé. Pourtant, cette histoire est déjà longue. Elle a commencé à Nazareth auprès d’une jeune fille qui, parmi toutes les personnes humaines, est celle qui a le mieux accueilli l’Esprit-Saint.
À l’Annonciation en effet, Marie ne reçut pas seulement le Fils, mais aussi l’Esprit, selon la promesse que lui fit l’archange (Lc 1, 35 : « L’Esprit-Saint viendra sur toi… »). Le Fils et l’Esprit ne sont-ils pas d’ailleurs indissociables ? Pourrait-on recevoir le Christ sans recevoir son Esprit ou inversement ? Non, puisque c’est le Christ qui envoie l’Esprit et c’est l’Esprit qui atteste que le Christ est Seigneur (cf. 1 Co 12, 3). Bref, les Deux sont indissociables. Et en plus ils sont indissociables du Père.
Quand le Christ dit : « Je viendrai vers vous. » (Jn 14, 3), sainte Catherine de Sienne (Lettres 130/94) comprend : « à la Pentecôte » :

« [Jésus] revint en effet, car le Saint-Esprit ne pouvait pas venir sans le Fils et sans le Père, puisqu’il ne faisait qu’un avec eux. Il vint donc avec la puissance attribuée au Père, avec la sagesse dévolue au Fils, et avec la bonté et l’amour conférés au Saint-Esprit. »

Aujourd’hui donc, l’Esprit Saint ne vient pas seul, mais avec le Fils et le Père ! Jésus l’avait promis : « Si quelqu’un m’aime […] mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons en lui notre demeure » (Jn 14, 23).
Et voilà Marie, devenue demeure admirable, non seulement de son enfant, mais en réalité de toute la Trinité. Comme elles furent fécondes ces années de Nazareth ! L’Esprit se manifestait en elle, non pas tant en des actions extraordinaires, mais d’abord par le soin maternel envers son Fils. Être rempli de l’Esprit ne nous fait pas forcément accomplir des miracles, mais nous fait certainement aimer Jésus. Humblement, simplement, patiemment.

Il en aura coulé de l’eau dans le Jourdain avant que l’Évangile ne mentionne de nouveau Marie et l’Esprit-Saint : ce sera le Vendredi saint, quand le Christ, en soufflant « Tout est achevé », remettra l’Esprit (Jn 19, 30). Il remet l’Esprit à son Père, certes, mais aussi à nous. Bref, la Pentecôte a mûri au Calvaire.
Qu’est-ce qui différentie cette deuxième rencontre de Marie et de l’Esprit, au Calvaire, de la première à Nazareth ? Vous pensez bien que l’Esprit de Dieu ne change pas ; mais Marie, elle, a sans doute changé. Était-elle parfaite ? Elle l’est devenue encore davantage. Au Golgotha, elle est plus près de Dieu qu’elle ne le fut jamais. N’est-ce pas d’ailleurs parce qu’elle est remplie de l’Esprit qu’elle peut tenir debout près de la Croix ?
Précieuse leçon ! Ce n’est pas quand on « plane » que l’on est plus plein de l’Esprit-Saint. Le Paraclet ne se mesure pas à nos sentiments, seraient-ils très nobles, voire infusés par Dieu : seule notre adhésion à la volonté divine est le critère décisif pour une présence agissante de l’Esprit-Saint en nous. Progresser est toujours possible.
Et d’ailleurs, cette parole du Ressuscité à Simon-Pierre s’applique-t-elle à Marie aussi « En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais ; quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas » (Jn 21, 18) ?
Ceinte par Dieu, menée par l’Esprit, la jeune Marie allait visiter Élisabeth pour louer le Seigneur à cœur joie. Des années plus tard, la voici avec son Fils au Golgotha, toute silencieuse. Elle a montré beaucoup d’amour, lorsqu’elle a accepté que Jésus naisse ; elle en a montré encore davantage lorsqu’elle a accepté qu’il meurt pour le salut du monde.

En ce jour de Pentecôte, la voilà au Cénacle. C’est l’ultime mention de sa présence dans l’Écriture — elle n’est pas nommée, mais elle y bien présente, cachée dans ce « tous » des Actes des Apôtres. Cela n’allait pourtant pas de soi, quand on y pense&nbsp: la Mère de Dieu, seule immaculée, la voilà mêlée à l’Église pleine de pécheurs… Comblée de l’Esprit-Saint bien plus que tous les autres, elle laisse parler les apôtres, dont elle connaît les défauts et faiblesses, par exemple ce Simon-Pierre qui assurait son Maître: « Je donnerai ma vie pour toi. » (Jn 13, 37) ou ce Thomas Didyme qui avait osé proclamer : « Allons, nous aussi, pour mourir avec lui ! » (Jn 11, 16).

Il n’est donc pas déplacé de penser que ce ne sont pas forcément toujours le Pape et les autres évêques qui sont le plus remplis de l’Esprit-Saint. Pourtant c’est à eux qu’il a donné le charisme de gouverner son Église. Enfin, quel vertige de penser à la multitude des saints cachés mais bien remplis de l’Esprit-Saint ! Pas plus que Marie, ils ne cherchent à se distinguer des autres – si ce n’est par une charité plus désintéressée et plus ardente.
Frères, répétons-le une fois encore : tout est accompli, mais tout n’est pas terminé ! Après la Pentecôte, la vie continue : désormais l’enjeu, pour chacun, est de vivre sous l’emprise de l’Esprit. Là encore, Marie est notre modèle. Elle avait le droit de dire, et bien plus que saint Paul : « J’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Christ » (Ph 1, 23) ; pourtant, elle a vécu encore de longues années ici-bas, avant de revoir son Fils Bien-aimé face-à-face.

Voulez-vous retenir une seule chose ? La voici : quand l’Esprit de Dieu est pleinement donné, il n’est pourtant pas encore pleinement reçu. Il y faudra toute notre existence : depuis l’enthousiasme de la jeunesse jusqu’à la patience de la vieillesse en passant par les épreuves et les douleurs de l’âge adulte. Qu’il en soit donc pour nous comme pour Marie : frères et sœurs, recevons l’Esprit-Saint !