Homélie du 28 mars 2024 - Jeudi Saint : Cène du Seigneur

Ce soir, le Seigneur se met à nos pieds … pour que nous respirions dans nos âmes

par

fr. Hugues-François Rovarino

1. Ce soir, le Seigneur se met à nos pieds. La simplicité divine en un geste et une leçon : son Heure ne cesse de résonner, de rayonner et nous sommes une preuve que la leçon aura portée. Il y aura fallu un peu de temps. La grâce ne trouve pas si aisément des cœurs disponibles — ainsi que le montrait déjà celui de Simon.
Le Seigneur se met à nos pieds, et notre vie en est changée. Un témoignage entre des milliers pourra attester de ces fruits : « Avoir affaire à Dieu est une nécessité pour moi. Car, de même que nous devons respirer tous les jours, de même que nous avons tous les jours besoin de lumière et que nous devons manger, de même que l’on a aussi tous les jours besoin d’amitié et de certains êtres, avoir affaire à Dieu fait partie des éléments de la vie absolument porteurs. Si Dieu soudain n’était plus là, je ne pourrais plus vraiment respirer dans mon âme. » Au soir de sa charge, quelques années avant de succéder à… Simon-Pierre, ainsi parlait le cardinal Joseph Ratzinger. Il parlait simplement de la vie chrétienne, accomplie, vivifiante ; témoignant de ce que le Seigneur était venu rendre à jamais possible en rencontrant un cœur disponible à sa grâce.
Avoir affaire à Dieu fait partie des éléments de la vie absolument porteurs. Si Dieu soudain n’était plus là, je ne pourrais plus vraiment respirer dans mon âme. Voilà ce que ne savait encore formuler Simon… Voilà pourtant la confidence que venait susciter Jésus, jadis en se livrant en exemple : « Afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »

2. Mais reconnaissons-le ce soir : avec Simon, nous partons de loin ! Au soir du repas pascal, il n’avait pas atteint une telle simplicité. Voici que Dieu était précisément devant lui, à ses pieds ; pour qu’il revête ses sentiments !
Or Simon protesta : avoir affaire au Seigneur, comme le Seigneur voulait, le déroutait ! Il aurait certes pu faire valoir qu’il s’inscrivait ainsi dans le noble lignage des Patriarches ou de certains Prophètes ! Ou qu’il était prêt à imiter les bégaiements d’un Moïse, cherchant un avocat, un interprète, guettant son Aaron. Mais non… Il parlait haut !
Dans la chambre haute, en la liturgie essentielle de l’Alliance avec le Peuple élu célébrant la Pâque fondatrice, quand Simon ne sut que dire, alors… il parla. Il aurait pu se taire. Mais non ! L’instant était alors solennel : Jésus « sachant que son Heure est venue de passer de ce monde à son Père » (Jean 13) s’abaissant devant lui. Et Simon, naïvement sincère, entreprit d’expliquer au Seigneur, une fois encore, une fois… de trop ?, comment être Dieu ! C’était presque une habitude. Avec Simon, ce soir, nous partons de loin ! Car l’enjeu est immense, décisif !

3. Et c’est précisément cela qui nous importe. On ne se refait pas aisément… Mais Jésus vient nous relever, encore. La maladresse de Simon, généreuse, vient nous réconforter. Depuis toujours, le Sauveur sait que son Heure sera une épreuve. Une épreuve pour lui, une épreuve pour nous. Agenouillé devant Simon, il mesure cet enjeu comme personne ! Son Heure vient s’accomplir pour cela. Que nous revêtions « les sentiments qui sont dans le Christ-Jésus » n’ira jamais de soi ! Et Simon, comme tout un chacun, reviendra une fois encore vers lui, bafouillant ce qu’il peut. Bientôt encore il trahira ; et guettera le pardon qui reconstruit.

4. Ce soir, nous voici à l’Heure de Jésus. Toute sa vie a rejoint la nôtre. L’apprivoisement aura souvent pris de longues années. Comme il est difficile à chacun d’accueillir Dieu comme Dieu veut ; d’écouter le Seigneur comme le Seigneur l’entend ; d’espérer de Dieu seul que le Sauveur vient là, près de moi, devant moi ! Mais, notre vie, il a pu désormais la laver, la purifier, et se livrer en exemple comme en nourriture : « Afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » Nous voici prêts à revêtir ses sentiments pour les vivre, pour servir, aider, aimer.
Combien de disciples et d’apôtres ont pu ainsi respirer avec Dieu dans leur âme, pouvant alors laver des hôtes, encourager les faibles, éduquer, demeurer attentifs au mystère de chaque personne, aux visages si divers, aux talents connus du Seigneur seul, à la vie immortelle de chacun !
Le Seigneur vient nourrir notre existence, la transfigurer par sa présence : Ceci est mon corps, qui est pour vous. Prenez, mangez-en tous. […] Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Prenez et buvez (cf. 1 Co 11 ; Mt 26). Imprégnant notre vie, il va la garder en son cœur. Tout nous est donné en son Heure à lui ; explicité paradoxalement grâce aux limites de Simon. C’est le programme de Dieu, pour que notre joie demeure !

Ainsi sommes-nous préparés à confier un jour, ce soir peut-être, en famille ou avec des proches : si Dieu soudain n’était plus là, je ne pourrais plus vraiment respirer dans mon âme.
Est-ce vrai pour chacun de nous ? Laisserez-vous Dieu être Dieu devant vous ? Avec vous et pour vous ? Que l’approfondissement de son mystère en ces heures de la Passion, de la Mort et de la Résurrection du Seigneur fasse grandir en nous cette grâce ! Et qu’en en vivant nous sachions faire de même : accomplir avec lui, la charité qui sauve ; répondre à son exemple avec joie et zèle par toute notre vie !