Homélie du 19 janvier 2020 - 2e Dimanche du T.O.

C’est pas moi, c’est lui

par

fr. Antoine Odendall

« C’est pas moi, c’est lui ! »
Après 4  années de classe de catéchisme au collège Saint-Thomas-d’Aquin, je suis assez familier de cette expression. « C’est pas moi, c’est lui ! »
Et parmi tous les élèves que j’ai pu avoir, il y en a un qui m’a toujours impressionné. Il s’appelle Émile.
Si les bêtises étaient une matière du brevet, il aurait pu faire passer l’oral directement comme examinateur. Il n’en ratait pas une, de sorte que je lui tombais assez souvent dessus quand quelque chose arrivait.
Et voilà ce qui était merveilleux  : qu’il soit coupable, ou innocent, pris sur le fait, ou accusé à tort, Émile se dressait sur ses pieds, et, le ton ferme, le regard droit et plein d’assurance s’exclamait toujours de la même manière  : « Mon frère, c’est pas moi, c’est lui. »

Il y a, dans l’attitude d’Émile, quelque chose à imiter. Pour les plus jeunes, je précise qu’il ne s’agit pas de s’envoyer des objets de part et d’autre de l’église, même si l’on fait d’excellents avions en papier avec le bulletin de liaison.
Non, ce qu’il faut imiter, c’est cet empressement, absolument naturel, comme un réflexe, à détourner l’attention de soi, pour la diriger vers un autre, pour la diriger vers Jésus.

Prenons quelques exemples  :
Fr. Albert est dominicain. Alors qu’il termine une conférence plutôt réussie sur la miséricorde, une femme, plutôt charmante, vient le voir pour lui signifier combien elle a été transformée par cette bonne nouvelle qui la rejoint au plus intime de ses difficultés. Elle lui dit qu’elle l’admire beaucoup pour cette vie donnée pour l’annonce de l’Évangile. D’un geste rapide, fr. Albert se tourne vers le crucifix et dit  : « C’est pas moi, Madame, c’est Lui. »
Jacques et Lucette sont mariés depuis 57 ans, fous amoureux l’un de l’autre. Alors qu’un couple en difficulté admire leur fidélité, en la comparant au grand nombre de familles divisées, ils répondent  : « Mais c’est pas nous vous savez : c’est Lui ! »
Capucine est jeune professionnelle, chrétienne engagée. Elle a fait le mardi des jeunes, elle a chanté à Lauda Mission, tout comme il faut  ! Sur son lieu de travail, elle est rayonnante, tout le monde remarque sa joie, et sa gaieté de vivre, et on lui dit  : « Capu, c’est génial les qualités humaines que tu as, cette joie, ce sourire. » Capucine montre la médaille qu’elle porte et dit  : « Tu sais, c’est pas moi, c’est Lui ! »
Sans Jésus, nous ne pouvons rien faire, et Émile nous donne aujourd’hui un peu malgré lui une recette facile pour enfin devenir des disciples missionnaires.
Profiter de chaque occasion, de chaque moment où les autres s’intéressent à nous pour leur signifier que ce qui nous définit profondément, notre raison de vivre, notre modèle et notre exemple, c’est Lui, c’est Jésus.
Car tout chrétien un peu sérieux, à force de marcher à la suite du Christ, tend à se conformer à lui et à reproduire son image, et à faire paraître aux yeux de tous cette charité avec laquelle Dieu aime le monde.

Cependant, pour être disciple missionnaire, l’exemple d’Émile n’est pas suffisant. Il ne suffit pas de détourner l’attention de soi, encore faut-il bien savoir vers qui on la dirige, et saint Jean-Baptiste nous l’enseigne aujourd’hui en 3  étapes  :
« Je ne le connaissais pas. » / « J’ai vu. » / « C’est Lui. »
« Je ne le connaissais pas »  : scruter au quotidien les signes de la présence de Jésus.
« J’ai vu »  : reconnaître son action dans notre vie.
« C’est Lui ! »  : rendre témoignage.

« Je ne le connaissais pas », commence Jean. Il sait, que Jésus vient, mais il ne le connaît pas encore. Il sait que toute sa vie est orientée vers la venue d’un autre, mais il ne sait pas encore vraiment qui il est. Alors il guette, chaque jour. Il scrute chaque visage, chaque signe chez les milliers de personnes qui viennent à son baptême. Il guette chaque jour, pour reconnaître celui qu’il désire de tout son cœur. Il cherche Jésus. Il veut le voir de plus près, le toucher. Pour pouvoir ensuite le montrer à tous les hommes.

« J’ai vu », deuxième étape  : l’Esprit Saint descend sur Jésus et Jean reconnaît aussitôt le miracle. Pourquoi le reconnaît-il  ? Parce qu’il était attentif, pour ne rien laisser passer. En un instant tout son être, qui était prêt, se concentre vers celui qu’il reconnaît comme son Sauveur.

« C’est Lui », troisième étape  : Jean témoigne aussitôt. Il ne peut pas garder pour lui une si bonne nouvelle, pour laquelle il s’était tant préparé. « C’est lui, s’écrie-t-il, c’est lui qui baptise dans le feu, c’est lui le Messie, l’Élu, le Fils de Dieu. »

« Je ne le connaissais pas. » / « J’ai vu. » / « C’est Lui. »
Fr.  Albert, Jacques, Lucette et Capucine peuvent suivre l’exemple de Jean le Baptiste. Plus ils seront attentifs à guetter l’œuvre du Seigneur dans leur vie quotidienne, plus ils chercheront à le connaître, à reconnaître sa présence un peu partout dans leur vie, plus ils seront émerveillés de voir que cette présence est concrète, et pourront dire eux aussi  : « J’ai vu. Je ne le connaissais pas, mais j’ai vu l’œuvre de Dieu. » Alors, ils pourront témoigner avec le naturel d’Émile, et la force de Jean le Baptiste  : c’est pas moi, c’est LUI.

C’est à eux, c’est à nous tous que s’adresse l’oracle du Seigneur au prophète Isaïe  : « C’est trop peu que tu sois mon serviteur. » C’est trop peu que tu mènes une vie chrétienne correcte. C’est trop peu que tu essaies de devenir un saint pour toi tout seul.
« Je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »
La lumière des nations. Dieu ne nous demande rien de moins. Prenons pour exemple l’étoile de la crèche. Sa lumière brillante attire les mages sur des kilomètres, mais une fois qu’ils sont arrivés à la crèche, à genoux devant la merveilleuse et vraie lumière, Jésus, soleil levant, la lumière de l’étoile diminue, et elle chuchote même à l’un des mages qui la regarde encore  : Hé, c’est pas moi, c’est Lui