Homélie du 29 novembre 2020 - 1er Dimanche de l'Avent

Comme des veilleurs

par

Daniel Vigne

Frères et sœurs, ce serait une bonne chose si dans cette homélie, je réussissais à ne pas prononcer certains mots qui depuis quelques mois sont tout le temps sur nos lèvres. Ces mots-là, vous les connaissez, les médias les diffusent à longueur de journée. Et dans le flot d’inquiétude qui déferle sur notre pays (inquiétude légitime, il ne s’agit pas de la mépriser), chacun de nous tente au mieux de surnager. Oui, ce serait une bonne chose d’arriver à résister ensemble à la morosité, à transcender un peu l’épreuve que nous subissons, à retrouver une certaine joie de vivre. Est-ce possible ? Je suis convaincu que oui, pour au moins trois raisons.

La première est évidente, c’est que nous sommes là ! Ensemble, frères et sœurs. Pas trop proches, certes, pas si nombreux que nous le souhaiterions, mais quand même : ensemble, pour célébrer le Seigneur. Autour de cet autel qui représente Jésus, de son corps auquel nous allons communier et que nous formons, nous voilà réunis. Nous ici, d’autres ailleurs, et ailleurs encore (grâce à Radio Présence), autour du même mystère, du même Sauveur. Avec la reprise des messes, je me représente la France, ce week-end, comme une grande prairie un peu grise et éteinte, mais parsemée de petites fleurs d’automne. Partout des assemblées chrétiennes, réduites, certes, mais ferventes, fidèles, persévérantes et porteuses du parfum du Christ.

Bon, ce n’est pas encore le printemps, mais nous sommes ensemble ! Alors savourons ce moment de prière, de communion. Mettons de côté nos insatisfactions grandes ou petites, nos mécontentements de toutes sortes. Saint Paul écrivait à Timothée : « Je veux qu’en tout lieu, les hommes prient en élevant des mains saintes, sans colère ni récrimination. » Retenons ces paroles pour vivre vraiment ce qui nous rassemble. La messe n’est pas un lieu de revendication, un moyen de pression, une manifestation cultuelle : la messe, c’est une fête spirituelle. Eucharistie, vous le savez, veut dire « action de grâces ». La messe, c’est le grand « merci » que nous offrons à Dieu. Nous sommes ensemble, non pas pour partager nos ronchonnements, mais parce que le Christ nous aime et pour célébrer saintement son amour.

Je vois ici une deuxième raison de ne pas trop ronchonner aujourd’hui, et c’est une belle coïncidence. Nous célébrons le premier dimanche de l’Avent, ce temps de l’année liturgique que nous aimons tous pour son atmosphère si particulière. L’Avent, c’est quoi ? C’est le regard vers l’avenir, c’est l’attente, l’espérance, la confiance que Dieu va venir. Dans les quatre semaines qui nous mènent vers Noël, il y a comme une douceur, une ferveur aussi, que le texte d’Isaïe nous a fait entendre : « Reviens, Seigneur, c’est toi notre Père, nous sommes tes enfants ! » Que c’est beau, que c’est actuel, n’est-ce pas ? Vous connaissez cette antienne de l’Avent tirée d’un autre chapitre d’Isaïe : Rorate caeli desuper, et nubes pluant justum. Nous pouvons la rechanter ensemble, en français : « Cieux, répandez votre justice, que des nuées vienne le salut. »

Pendant le temps de l’Avent, les textes de la liturgie vont faire passer devant nous de grands modèles de patience, de confiance. Il y a les prophètes, qui souvent ont traversé des épisodes terribles de l’histoire d’Israël, mais qui sont restés des messagers d’espoir. Soyons comme eux : même quand les choses semblent aller mal, tenons bon, car Dieu est fidèle. Il y a Jean-Baptiste, le précurseur, l’homme du désert, de la prière. Soyons comme lui : même si nous ne savons pas exactement par où il va venir, préparons les chemins du Seigneur. Il y a Marie, porteuse de l’Enfant qu’elle va donner au monde : participons à son enfantement. Oui, le monde souffre, mais il est en genèse, l’histoire n’est pas finie, le Seigneur vient !

Et voici justement la troisième bonne raison de relever la tête. L’Évangile nous la donne avec force : « Restez éveillés » (première phrase)… « Veillez ! » (dernier mot). Traduisons : soyez des veilleurs. Les cités d’autrefois avaient des gardes, en haut des tours ou sur les remparts, protégeant la ville. Quand tout le monde dormait, ils se tenaient debout, guettant l’horizon, attendant l’aurore. Et nous aussi chrétiens, dans la nuit de ce monde, nous sommes postés comme des intercesseurs. C’est notre mission, frères et sœurs : prier pour ceux qui ne prient pas. Prier pour eux, c’est-à-dire à la fois à leur place et en leur faveur. Si nous ne le faisons pas, qui le fera ?

Alors je vous le suggère, si vous ne le faites pas déjà : prenez dans votre prière, tous les jours, en secret, une personne ou plusieurs pour lesquelles l’Esprit Saint vous inspire d’intercéder. Soyez pour elles un veilleur, un vecteur de grâce, un capteur des énergies divines. Demandez, demandez, avec confiance, et si apparemment rien ne change, persévérez. « Le veilleur compte sur l’aurore, Israël sur le Seigneur », disait le psaume. Oui, « notre âme attend le Seigneur, plus qu’un veilleur n’attend l’aurore ». Nous sommes sûrs de sa grâce. Nous recevons sa grâce, malgré notre indignité. Alors voici venu le temps de rendre grâces.

Nous sommes ensemble, nous sommes dans l’Avent, nous sommes des veilleurs. Trois bonnes raisons, je vous le disais, de remercier le Seigneur aujourd’hui. Alors entrons dans cette eucharistie avec un cœur plus léger, une âme moins encombrée, une foi renouvelée. Remercions Dieu, relevons la tête, et intercédons. Amen.