Homélie du 2 juillet 2000 - 1ère messe du Frère Dominique-Marie CABARET

« Il s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté »

par

fr. Dominique-Marie Cabaret

«Lui qui est riche, s’est fait pauvre à cause de nous pour nous enrichir de sa pauvreté.»

Frères et sœurs, savez-vous pourquoi, comme on dit familièrement, il faut donner aux pauvres? Savez-vous pourquoi il faut être attentif à son prochain? Tout simplement, me diront certains, au nom de la justice et de la dignité de la personne. Car il serait injuste que mon voisin meure de faim et que moi je croule sous l’opulence, alors qu’il a autant le droit de vivre que moi. Et c’est vrai!

Mais plus fondamentalement, savez-vous pourquoi il faut donner aux pauvres? Saint Paul nous donne aujourd’hui la réponse, la seule, la vraie, et c’est d’ailleurs la seule raison qu’il donne aux Corinthiens à qui il demande de l’argent pour les chrétiens de Jérusalem qui viennent de subir une persécution: il nous faut donner aux pauvres tout simplement car il n’y a rien sur cette terre et en cette vie, que nous n’ayons reçu. Oui, il n’y a rien sous le ciel que nous n’ayons reçu de Dieu, et qu’à notre tour nous sommes appelés à redonner en parfait imitateur de Dieu. Saint Paul ne tente d’ailleurs nullement d’apitoyer le cœur des Corinthiens en égrenant précisément la misère des chrétiens de Jérusalem, un peu à la manière des shows télévisés pour oeuvres humanitaires de notre époque. Non! La seule raison qu’il donne est d’ordre théologique: «Lui qui est riche, il est devenu pauvre à cause de nous, pour que nous devenions riche par sa pauvreté.!» Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte de ce que signifie cette phrase, mais en quelques mots elle résume le cœur du mystère chrétien. Lui qui est riche – le Fils de Dieu en tant que Dieu -, est devenu pauvre à cause de nous – il s’est fait homme pour nous sauver -, pour que nous devenions riche par sa pauvreté – pour que nous devenions comme des dieux par son humanité! Tout est là! Pas moins comme des dieux. Pas besoin d’aller chercher plus loin: dans son trop grand amour pour nous, Dieu s’est fait homme pour que nous devenions riches de sa divinité par son humanité. Et cela a deux conséquences:

1° nous ne sommes jamais totalement propriétaires, mais plutôt intendants des biens de cette terre et des dons qui nous sont faits, et il faut savoir les redonner avec la même largesse.

2° au plan de la vie de grâce et de foi, tout ce que nous avons reçu nous vient totalement, exclusivement, certes de Dieu mais par l’humanité du Christ.

Pour un non-croyant, cela peut paraître fou, déraisonnable, mais tel est le sens de l’Incarnation. «Car il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés!» dira un jour Saint Pierre devant les grands prêtres (Ac 4,12) Et cela vaut pour tout homme de ce monde. Dieu n’était pas obligé de devenir homme pour nous sauver, mais s’étant abaissé à le devenir, il a voulu que toute grâce passe par cette humanité sainte qu’il a revêtue.

Ainsi en est-il de cette femme, atteinte de pertes de sang depuis 12 ans, inguérissable, désespérée sans doute, et qui fut guérie en touchant non pas même le Corps de Jésus mais seulement son vêtement! Sainte humanité du Christ! Ainsi en est-il de cette jeune femme de 12 ans, morte, à un tel point qu’on se moquait de Jésus qui prétendait la réveiller, et qui suite à une parole du Christ se leva et se mit à marcher! Sainte humanité du Christ! Ainsi en est-il de chacun de nous qui tôt ou tard est appelé, notamment dans la communion au Corps et au Sang du Christ – contact ô combien intime avec l’humanité de notre sauveur – et par bien d’autres moyens dont Dieu a le secret, est appelé tôt ou tard à recevoir le baiser de la Vie éternelle!

Surtout ne faisons pas la fine bouche, car ce qu’est venu nous apporter le Christ dans son humanité est la chose la plus précieuse qui soit, et qui vaut tout l’or du monde, cette vie bienheureuse, d’intimité profonde avec notre Dieu, dans un amour sans fin et qui commence dès aujourd’hui. Comme le dit le livre de la Sagesse que nous avons entendu aujourd’hui, «Dieu n’a pas fait la mort», mais la vie; «il ne se réjouit pas de voir mourir les siens» (Sg 1, 13…2,24), mais il leur donne une existence impérissable.

Voilà pourquoi, malgré la détresse et les épreuves du temps présent, nous portons ces titres glorieux et nous sommes « une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis» (1P 2), en vue de l’éternelle louange que nous sommes appelés à proclamer dès ici-bas envers celui qui nous a fait passer «des ténèbres à son admirable lumière» (1P 2,9).

Frères et sœurs, dans quelques minutes, pendant que nous apporterons le pain et le vin sur l’autel, vous serez appelés à participer à cette offrande en mettant quelques pièces ou quelques billets dans une corbeille, à la manière même des premiers chrétiens qui apportaient eux-mêmes de chez eux ce pain et ce vin. Je pourrais vous tenir le même langage que Paul, vous exhorter à vous montrer généreux comme le Christ l’a été pour nous, et c’est vrai que les pauvres du monde entier, ou les chrétiens du Soudan, du Vietnam ou de Terre Sainte – les temps n’ont pas changé – et l’Église et même nous frères prêcheurs avons besoin de notre aide, ô combien nécessaire. Mais que cette offrande matérielle soit avant tout le signe de l’offrande de notre cœur. Sans offrande spirituelle, mieux vaut finalement peut-être ne rien donner. «Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.» A la messe, c’est le Christ qui s’offre à son Père pour nous sauver. Puissions-nous nous offrir au Père dans un même élan! Jésus n’attend pas autre chose de nous!