Prenons-nous la mesure de ce que nous vivons lorsque nous sommes dans ce temps de l’Avent? S’agit-il de faire mémoire de cet événement inouï qui s’est produit il y a 2000 ans environ, le fait que Dieu se soit fait homme? Oui, bien sûr, à soi seul, cela justifierait nos célébrations: Dieu est venu parmi les siens; mais la liturgie parle au présent: le Seigneur est proche, il vient, il s’agit d’un événement actuel. Le Christ n’est pas un homme comme les autres, il est une personne divine, et tout ce qu’il a vécu historiquement dans son incarnation engage tous les temps, et donc le nôtre. Si la messe que nous célébrons réalise l’actualité du mystère pascal, le temps de l’Avent est préparation à la venue du Sauveur dans ce temps qui est nôtre. Il y a aussi une actualité de l’Incarnation: notre temps, notre aujourd’hui, fait partie de la plénitude des temps qui advient avec l’Incarnation du Verbe.
Croyez-vous que le monde attende davantage son Sauveur qu’Israël il y a 2000 ans? Trouvez-vous que notre monde n’a pas autant besoin de lumière qu’au temps de César Auguste? Pensez-vous que la culture de l’éphémère dans laquelle nous vivons n’est pas, en creux, un appel à la plénitude de la vie, celle qui ne passe pas? C’est en notre temps que le Christ vient, et cela risque fort de passer aussi inaperçu qu’il y a 2000 ans. C’est pour cela que Dieu envoie, en guise de préparation, des témoins de la Lumière, comme Jean-Baptiste en son temps. Les hommes de notre temps ont aussi besoin de précurseurs qui annoncent celui qui vient, qui témoignent de sa proximité.
Alors qui tient la place de Jean-Baptiste aujourd’hui? Auprès de qui se renseigner? Qui va montrer le Christ qui vient? Certes, il y a les religieux, dont c’est la vocation de témoigner de la venue du Sauveur, comme les frères dominicains ici présents. Certes, ils ne sont pas toujours vêtus de poils de chameau, ils ne se nourrissent pas tous les jours de sauterelles et de miel sauvage, mais enfin, ils se sont quelque peu retirés du monde pour répondre à cet appel reçu. Cependant ils ne peuvent suffire, il y a quantité de lieux où ils ne peuvent aller. Alors, où est le précurseur, qui est Jean-Baptiste aujourd’hui? Jean-Baptiste, aujourd’hui, c’est vous, c’est chacun de vous qui, comme baptisé, avez vocation à témoigner du Christ qui vient. Nous sommes les membres de ce Corps dont le Christ est la tête et qui s’appelle l’Église. Désormais, c’est chacun des membres du Corps qui a vocation à témoigner de la venue de la Tête, le Christ Jésus. Lorsque nous reprenons, comme chaque matin à l’office de Laudes, la prière du Benedictus, il faut s’appliquer à soi-même les paroles de Zacharie à propos de son fils Jean le Baptiste: « Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut, tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer ses chemins. »
Il faut donc interroger Jean-Baptiste sur la façon de témoigner de la venue du Christ. Ce que l’Évangile nous rapporte de lui nous éclaire sur la posture du chrétien qui veut témoigner que Dieu vient encore. Soulignons trois traits qui apparaissent assez nettement à la lecture des textes. D’abord, Jean-Baptiste est comme brûlant de la présence de Jésus. C’est Jésus qui le dit: il est la lampe qui brûle et qui éclaire; c’est pour cela qu’on le rapproche d’Élie, au point presque de l’identifier à lui: sa parole brûlait comme une torche. Il faut sans cesse recevoir du Christ lui-même cette ardeur qui consume tout. Ardeur joyeuse d’ailleurs: « L’ami de l’Époux est rempli de joie à la vue de l’Époux »; cela a commencé à la Visitation, lorsqu’il a bondi dans le sein d’Élisabeth. Si l’on brûle de la présence du Christ, cela attire, et les hommes cherchent la source de cette ardeur. Ensuite, le Baptiste est comme transparent, en ce sens qu’il ne veut témoigner que de Jésus, et non de lui-même. Il n’est pas la lumière, mais il lui rend témoignage. « Il faut que lui grandisse et que moi je diminue »; « Je ne suis même pas digne de défaire la courroie de sa sandale ». Il ne fait que prêter sa voix à celui qui est la Parole, le Logos. Il n’ajoute pas sa glose personnelle, il ne fait pas de journalisme, même catholique. Comme le disait saint Augustin dans une homélie sur la parole, ce qui compte n’est pas le son mais ce qui est dit. Enfin, Jean est courageux. Toute sa vie le montre, et spécialement lorsqu’il ose reprendre ceux qui se conduisent mal, comme Hérode le Tétrarque. Cela lui a coûté la vie, pas moins, mais parce qu’il a osé lui dire qu’il vivait mal, en ayant pris la femme de son frère. Il a été précurseur dans sa vie comme dans sa mort, et il montre quelle est la mesure du témoignage à rendre à la vérité, à toute vérité. En tout il a précédé le Christ: la naissance, le baptême, la mort.
Eh bien, voilà les caractères, le portrait-robot de tout précurseur du Christ, de tout baptisé: il est ardent, il est transparent au Christ, il est courageux. À chacun d’incarner cela dans sa propre vie, et dans le monde qui est nôtre. Le monde n’est pas une abstraction lointaine. Il commence où nous sommes, et notre prochain est d’abord celui qui est proche. Dans notre famille, immédiate ou élargie, dans notre travail, dans les communautés de tous ordres auxquelles nous appartenons, il y a toujours moyen de témoigner de la venue du Sauveur, sans verser pour autant dans le prosélytisme, mais par les actes toujours, et par la parole parfois.
Que l’Esprit dans lequel nous sommes renouvelés par la célébration de cette messe nous fortifie pour que nous soyons des témoins toujours plus vrais du Sauveur qui vient à la rencontre des hommes