« La sainte Famille, servante du futur Serviteur souffrant »


Le Verbe s’est fait chair. Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte de l’importance de l’événement que nous avons fêté hier. À la limite c’est une folie: en fêtant l’Incarnation du Fils de Dieu, nous prétendons en effet, que notre Créateur, sans qui nous serions rien, est devenu l’un de nos semblables en la Personne de Jésus-Christ. Autrement dit notre Créateur est devenu une créature. C’est déraisonnable, et pourtant le comble de cette folie divine réside sans doute dans l’extraordinaire discrétion dont a été enveloppé cet événement inimaginable, au sein d’une famille juive, simple et pauvre, voici 2000 ans, la sainte Famille que nous fêtons aujourd’hui.
Dieu aurait pu, en effet, décider de jouer les supers héros, un peu à la manière James Bond ou Superman. Il aurait pu même sortir d’un buisson ardent avec un visage rayonnant et un vêtement d’une blancheur fulgurante. Et cela n’aurait rien eu d’inconvenant: tel l’ont vu les disciples lors de la Transfiguration. Il était Dieu et cette gloire lui revenait. Il aurait pu aussi surgir de la nuit un peu à la manière de Zorro, usant de miracles à tire-larigot comme ce dernier de son épée . Et, pourtant ce n’est pas ainsi que la lumière a lui dans les ténèbres (Jn 1,5), mais de la manière la plus naturelle, la plus douce, telle la flamme d’un cierge qu’on allume et qui doucement mais sûrement prend toute son ampleur: le Verbe s’est fait chair au sein d’une famille, sans tambour ni trompette, mis à part ceux du ciel et des anges, devenant le bébé d’une femme, semblable aux hommes (Ph 2,7) en toutes choses hormis le péché, et respectant ainsi le mieux possible l’ordre qu’en tant que Créateur, il a lui-même mis dans le monde.
Ainsi en avait-il décidé, mais encore fallait-il trouver la famille adéquate; encore fallait-il trouver un homme et une femme mariés qui acceptassent de collaborer en tout aux desseins de Dieu, et ce n’était pas chose faite d’avance! Car s’il était du ressort de Dieu que le Verbe se fasse chair en une jeune fille vierge d’Israël, cela ne pouvait se faire sans l’assentiment de cette dernière, qui dans sa pureté gardait toute sa liberté: Marie, en son Annonciation aurait pu dire non! Et Joseph, en découvrant la grossesse mystérieuse de sa femme aurait pu refuser d’en assumer la responsabilité légale! Et Dieu se serait trouvé contraint de respecter leur liberté. Mais ils ont dit oui, et ce oui a perduré jusqu’à leur mort. C’est ainsi que le Verbe devenu chair a pu téter le sein de sa mère, apprendre à marcher, à parler, à lire, à travailler et devenir le Jésus de Nazareth que nous connaissons.
Marie et Joseph ont donc su être ces serviteurs fidèles du futur Serviteur souffrant. Et il est tentant, à travers leurs vies de voir en eux une image parfaite de ce serviteur fidèle dont parle saint Luc dans son Évangile, à qui le maître, à son retour de champs, plutôt que de le convier à se mettre à table, lui demande encore au contraire de lui préparer à dîner, de le servir, jusqu’à ce qu’il ait lui-même mangé et bu (Lc 17, 7-10).
En effet, loin des images un peu sucrées et naïves de la sainte famille, la tâche de Marie et Joseph fut loin d’être facile. Le peu que l’on en sait à travers les Évangiles est éloquent: à commencer par l’épreuve que constitua la grossesse mystérieuse de Marie, très gênante pour une jeune fille! Qui est le père? Question légitime de Joseph! Cela méritait la mort! Et ce n’est pas tout! Bientôt, en effet, il fallu se mettre en route pour le recensement alors que Marie n’était pas loin d’accoucher, et nous savons qu’un dos d’âne n’a rien à voir avec le confort d’une 2Ch! C’est dans une crèche, en toute hâte, qu’on déposa le nouveau-né, par manque de place. Certes, les bergers et les mages vinrent l’adorer, mais il fallu bientôt craindre pour la vie de l’Enfant, fuir en Égypte, connaître l’épreuve de l’exil et la condition d ‘immigré. Et quand Hérode eut trépassé, la Judée d’Archélaüs n’en fut pas plus sûre pour autant, et c’est ainsi que la sainte Famille se replia à Nazareth de Galilée. Enfin, sans parler du glaive qui transpercera l’âme de Marie au pied de la croix, ce fut encore les trois jours d’angoisse à se demander ce qui avait bien pu arriver à Jésus, pour s’entendre dire par cet enfant de douze ans, qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter!
Marie et Joseph surent dans l’adversité rester fidèles à leur mission, surent rester d’humbles serviteurs, mettant leur point d’honneur à servir cet Enfant, qu’ils savaient être dans la foi, – car ils devaient croire eux aussi -, leur Dieu.
C’est ainsi que la sainte famille devint cet écrin, cette église miniature, digne de donner au monde cette perle inestimable, le plus beau des enfants des hommes, notre Sauveur, et qu’en fêtant la Sainte Famille aujourd’hui il nous est tout autant demandé de l’admirer que de l’imiter, en devenant à notre tour d’autres écrins, d’autres temples porteurs du Christ pour le monde. Car si Marie et Joseph ont porté cet enfant à bout de bras et l’ont donné au monde, c’est non seulement pour qu’il nous sauve, mais aussi pour que nous sauvant, nous le portions dans nos cœurs, pour le donner à notre tour au monde. Et pour cela pas de mystère, la seule solution c’est de dire oui à l’œuvre de Dieu en nos vies, à chaque instant, à la manière de Marie et de Joseph.
C’est là le chemin de la sainteté: pas les choses qui nous dépassent, mais l’abandon à la volonté de Dieu, avec la grâce qu’il nous donne pour la suivre, dans l’adversité comme dans la facilité, la volonté de Dieu seule. Alors le Seigneur pourra vraiment faire sa demeure en nos cœurs et nous deviendrons ces écrins inestimables du Christ, temples de l’Esprit, que le Père désire tant! En ce début d’année sainte, – le Pape vient d’ouvrir la porte sainte – c’est même le moment ou jamais de lui ouvrir grand les portes de notre cœur. Le Verbe de Dieu s’est fait chair, il a si froid dans cette crèche, il désire tant demeurer là au chaud. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’aujourd’hui encore il se cache sous l’apparence du pain et du vin.
Oui, ouvrons grand les portes de notre cœur! Alors nous pourrons dire au jour fixé, à la suite de Marie, de Joseph et du vieillard Syméon: «Maintenant ô Maître souverain, tu peux laisser s’en aller tes serviteurs en paix, selon ta parole. En t’accueillant et en te servant, nous n’avons fait que ce que nous devions faire, fais de nous maintenant ce qu’il te plaira» et de nous entendre répondre de le bouche même de notre Sauveur: «Venez, bénis de mon Père et recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde» (Mt 25, 34).

