Homélie du 19 septembre 2021 - 25e dimanche du T. O.

La vie surnaturelle vient de Dieu et amène à Dieu

par

fr. Timothée Lagabrielle

Aujourd’hui, entre Jésus et les disciples, il y a un malaise. Ne le sentez-vous pas ? Jésus les enseigne, ils ne comprennent pas (jusqu’ici, il n’y a rien d’extraordinaire) mais, et c’est là que ça ne va plus si bien, ils ont peur de l’interroger et ils se taisent. Jésus voit cela. Lui qui sait tout, il sait ce que les disciples se disent au-dedans d’eux-mêmes. C’est pour cela qu’il les interroge en arrivant à la maison. Il leur tend une perche. Mais les disciples se taisent encore. Ils n’osent pas répondre. Ce silence des disciples est frappant.

Certains disent que ce silence est le signe d’une crainte sacrée qui s’empare des disciples devant le mystère divin qui leur échappe. Ces commentateurs très bienveillants voient ici un silence d’adoration. Mais c’est bien plutôt un malaise des disciples : le silence gêné de ceux qui se sentent pris en faute. Le silence gêné de la classe quand le professeur demande un volontaire pour une interrogation surprise.

Il faut dire que les dernières expériences des disciples les poussent à la prudence avant de parler ou de prendre des initiatives. Car, peu avant, Jésus les a vivement repris à plusieurs reprises. Dimanche dernier, vous vous en souvenez sûrement, saint Pierre s’est fait traiter de Satan par Jésus (Mc 8, 33). Ensuite — nous ne l’avons pas lu à la messe, mais c’est l’épisode qui est entre l’évangile de dimanche dernier et celui d’aujourd’hui — en descendant du mont Thabor après la Transfiguration, voyant que les disciples n’avaient pas réussi à expulser un démon, Jésus a dit : « Engeance incrédule, […] jusques à quand vous supporterai-je ? » (Mc 9, 19).

Il y a donc ce malaise entre les disciples et Jésus. D’une certaine façon, c’est une bonne nouvelle. Nous pouvons remercier les disciples et les évangélistes de ne pas avoir embelli l’histoire et de nous raconter même les malaises qu’ils ont eu avec Jésus. Cela peut nous faire dédramatiser nos propres émois. Mais il faut encore plus remercier Jésus. Car si les disciples osent parler de cette situation peu glorieuse, c’est parce qu’ils ont vu que Jésus ne s’en offusquait pas. Jésus ne leur tourne pas le dos, il ne boude pas, il ne répond pas à leur silence par son silence. Au contraire, il continue à leur parler. Puisque les disciples ne prennent pas l’initiative, c’est Jésus qui la prend, et il cherche à resserrer le lien qui se distend. Jésus continue à enseigner les disciples même s’ils semblent ne pas comprendre. Il dit et il redit avec patience, comme un bon professeur qui sait qu’il faut se répéter pour enseigner. Avec patience, il enseigne en variant ses méthodes : il a des discours avec une variété de formules (aujourd’hui c’est : « Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous », mais il peut dire aussi : « Qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera » (Mc 8, 35)… C’est un petit peu la même chose mais dit différemment) ; il utilise aussi des paraboles (par exemple, il y a celle du grain de blé tombé en terre, qui meurt et porte beaucoup de fruit qui rejoint cet enseignement) ; ou bien l’exemple de ses actions. Par ces différents moyens, il dit la nécessité de la Croix. S’il ne craint pas de se répéter, s’il n’est pas froissé pas le malaise des disciples, c’est parce qu’il sait que ce qu’il a à nous dire n’est pas tout à fait dans notre logique terrestre, c’est quelque chose de plus grand, de plus divin, c’est surnaturel et il nous faut du temps pour l’assimiler.

Pour dissiper ce malaise, pour continuer d’enseigner les disciples, il prend un exemple : celui de l’enfant. C’est comme s’il disait : « Revenons au début, retournons à l’origine ! » Un enfant ressemble à Jésus, c’est pour cela que Jésus peut faire le parallèle entre l’enfant et lui. À cette époque, l’enfant c’est celui qui n’est rien du tout, il est encore mineur, il doit se soumettre en tout. Tout ce qui est considéré comme grand en l’enfant ne vient donc pas de ce qu’il est maintenant, mais vient de qui il est issu (de ses parents, de sa généalogie) et de ce qu’il va devenir. De même, la grandeur de Jésus est cachée, elle n’apparaît pas. En parlant de sa passion et de sa mort, il se montre faible, comme un enfant. Mais il a une grandeur par son origine (c’est ce qu’il dit : il se réfère à « Celui qui l’a envoyé ») et par le Salut qu’il va apporter.

En s’incarnant, le Verbe « s’est anéanti ~ il n’a pas retenu jalousement le rang qu’il l’égalait à Dieu le Père » (cf. Ph 2, 5-11). Sa grandeur divine est cachée dans son humanité. Mais elle se laisse découvrir par ceux qui l’accueillent. Jésus pousse les apôtres à ne pas s’arrêter aux apparences, mais à voir la vie surnaturelle, la dimension surnaturelle de leur vie.

Cette dimension surnaturelle est cachée, peu visible, mais elle change tout. Un peu comme le levain dans la pâte : si on ne le met pas, on n’obtient qu’un bloc trop dense et immangeable, alors qu’avec un tout petit peu de levain nous avons ce bon pain (ou une bonne brioche ou une fouace aveyronnaise avec à peine plus d’ingrédients). Quand nous prêtons attention à cette dimension surnaturelle de notre vie, quand nous recherchons comment ce que nous vivons et ce qui nous arrive vient de Dieu et amène à Dieu, alors notre vie est réellement chrétienne. C’est cette dimension surnaturelle, le fait de se référer à Dieu comme origine et terme de notre vie, qui donne leur vraie valeur à nos actions.

En ce début d’année, quand nous réfléchissons à nos engagements et au rythme que nous allons avoir, c’est une bonne réflexion à mener : il s’agit de trouver dans le concret de ces engagements et des événements de la vie en quoi ce que je vis vient de Dieu et comment cela me mène à Dieu. Si nous sentons un malaise dans notre relation avec Dieu, si le sens de ce que nous vivons ne nous apparaît pas clairement, il est bon de chercher à retrouver de cet esprit surnaturel. Et si tout va bien dans notre vie, nous pouvons faire la même chose, pour vérifier que ce qui nous guide n’est pas qu’un petit bonheur matérialiste mais la vie divine vécue entièrement.