Le Ressuscité


Survient un grand tremblement de terre ; un ange descend du ciel, ayant l’aspect de l’éclair ; il est vêtu d’une robe d’une blancheur éblouissante ; les gardes sont littéralement terrassés, laissés pour morts… Au cours de ce récit du matin de Pâques, tout manifeste avec éclat la gloire du Ressuscité. L’Évangile de la résurrection rapporté par saint Matthieu nous décrit ainsi l’ébranlement du ciel et de la terre par la victoire du Christ sur la mort. Mais quand on compare ce récit aux autres évangiles rapportant le même évènement, comme celui selon saint Jean que nous entendrons demain, le contraste est vraiment saisissant. Pour eux, le premier signe que vont trouver les femmes arrivées le matin au tombeau est simplement le tombeau vide. La rencontre avec les anges (rapportée par Jean) ou avec les hommes (en Luc ou Marc) n’a lieu qu’après, quand les interrogations commencent à poindre : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau et nous ne savons pas où on l’a mis », annonceront d’abord les femmes aux apôtres (Jn 20, 2). Au début, elles ne sont donc au courant de rien. Et même après, quand elles seront témoins du Christ ressuscité, tout se déroule dans le calme et la paix.
Qu’il y ait plus d’action, cela n’est pas pour nous déplaire, surtout quand il est déjà autour de minuit : cela permet de chasser le sommeil qui pourrait s’installer. Et comme cela fait plus de quarante jours que nous avons entrepris ce chemin vers Pâques — surtout après avoir contemplé ce Vendredi la Passion —, nous avons le désir de nous réjouir de la résurrection, de la proclamer haut et fort comme le fait notre évangile de ce soir. Matthieu exprime bien sa joie et son désir de proclamer la victoire du Christ. Mais au-delà de nous stimuler dans notre foi et notre désir missionnaire, il veut d’abord nous introduire dans la réalité cachée de cet évènement pascal. La résurrection n’est pas un simple retour à la vie d’une personne qui est morte sur la Croix, elle n’est pas une simple preuve servant à authentifier les paroles que Jésus avaient proclamées pendant trois ans : la résurrection est la victoire définitive du crucifié sur le péché et sur la mort. Et Matthieu pose le décor, il décrit la scène de manière semblable au retour glorieux du Christ que nous trouvons dans les chapitres 24 et 25 de son évangile. Je cite : « Aussitôt après la tribulation [dont des tremblements de terre (cf. 24, 7)]…, les puissances des cieux seront ébranlées… On verra le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel avec puissance et grande gloire » (24, 29.30). « Escorté de tous les anges, il prendra alors place sur son trône de gloire… Il séparera les gens les uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs » (25, 31.32). Ici, c’est l’Ange du Seigneur (l’expression est importante, dans l’Écriture, cela signifie Dieu agissant lui-même), donc l’Ange du Seigneur qui descend et qui s’assied sur la pierre du tombeau, semblable à un trône. Avec lui, Dieu siège sur la mort elle-même. En face, deux groupes, comme dans la parabole des brebis et des boucs : d’un côté les deux femmes, de l’autre les soldats. Les unes représentent les disciples du Seigneur, ceux qui cherchent Jésus, le crucifié, et de l’autre côté nous avons ceux qui ne vont pas hésiter à se laisser corrompre pour porter de faux témoignages, pour dire que ses disciples ont dérobé son corps (cf. 28, 13). Ces derniers sont paralysés par la peur, ils ne peuvent pas soutenir la présence de Dieu, ils sont comme morts. Pour eux, pas de lumière, pas de libération, pas de joie ni de paix, mais ils restent aveuglés par leurs péchés. Mais aux femmes, l’Ange dit : « Ne craignez pas, vous » (v. 5), accompagnant sûrement sa parole d’un geste d’amitié. Elles, restent debout ; elles, sont invitées à partir au plus vite pour proclamer la résurrection aux autres disciples ; elles, avec les autres, doivent se rendre en Galilée pour y retrouver Jésus ; elles, enfin, le verront face à face, en pleine lumière. Dieu a changé leur deuil en allégresse, leurs pleurs en éclats de joie.
Voilà donc le jugement du monde, voilà donc la victoire du crucifié. Et si nous sommes réunis en cette nuit, c’est pour célébrer, en 2023, cette même victoire. À nous qui, comme les femmes au matin de Pâques, cherchons le crucifié, l’Ange du Seigneur déclare aussi : « Vous, ne craignez pas ! » Donc ne craignons pas Dieu qui vient à nous dans la lumière de sa Pâque. Ne craignons pas notre faiblesse et nos péchés, car le crucifié les a pris sur lui pour les détruire. Ne craignons pas la puissance du Ressuscité, car elle manifeste son amour et sa miséricorde pour nous. Ne craignons pas la distance infinie qui nous sépare de lui, ni la lourde pierre du tombeau, tous ces obstacles venant du monde : c’est lui qui a pris l’initiative de venir à notre rencontre en sortant vainqueur du sépulcre.
Comme la miséricorde de Dieu est toujours grande, Jésus n’attend pas l’arrivée en Galilée de Marie de Magdala et de l’autre Marie pour aller à leur rencontre. Après les avoir invitées à la joie (« Réjouissez-vous » leur dit-il — ce qui est traduit par « Je vous salue » dans notre traduction), il va leur rappeler le message qu’elles viennent d’entendre. Mais il apporte une précision que l’Ange du Seigneur n’avait pas donnée initialement. L’Ange désignait, comme destinataires du message, les disciples : « Allez dire à ses disciples : “Il est ressuscité d’entre les morts” » (v. 7). Jésus les appelle maintenant frères : « Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent partir pour la Galilée » (v. 10). Par sa passion et sa résurrection, par sa victoire sur la mort, le Christ a renforcé la relation que les disciples avaient avec lui. Ils sont devenus ses frères et ses sœurs, et le Fils unique a partagé la relation qu’il avait avec le Père. La victoire que le Christ a réalisée n’est pas une victoire générale, qui pourrait être fêtée par le plus grand nombre, mais qui aurait été fatale à tel ou tel soldat. Elle est aussi une victoire individuelle, pour chacun d’entre nous : dans et par notre baptême, le Christ nous a assuré personnellement la victoire, et nous a donné part à sa Résurrection.
À vous tous donc, frères et sœurs du Christ, à vous particulièrement les nouveaux baptisés de Pâques, sainte fête de la Résurrection du Christ, sainte fête de notre résurrection.

