Homélie du 11 juin 2017 - Dimanche de la Trinité

Le signe vital

par

fr. Emmanuel Perrier

Chers frères et sœurs,
je crois avoir trouvé l’homélie ultime sur le mystère de la sainte Trinité, l’homélie qui concentre toute notre foi et qui possède cette qualité que vous attendez tous : elle est l’homélie la plus courte dans l’histoire de Rangueil.
La voici donc avec le geste qui l’accompagne :
« Au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Amen »
Peut-être une homélie si condensée demande-t-elle un commentaire. Vous vous demandez peut-être comment j’ai réussi à faire rentrer dans si peu tout ce que l’on pouvait dire sur le mystère de la sainte Trinité. Plus sûrement encore, vous vous demandez si je ne suis pas en train de me payer votre tête. Car le signe de la Croix tracé sur le corps en prononçant les mots du baptême laissés par Jésus lui-même, ce signe de croix on le connaît par cœur depuis longtemps, on le pratique si souvent que ça en deviendrait banal. Permettez-moi cependant de vous répondre que si votre signe de croix est banal, nous ne parlons pas de la même chose.
Car le signe de croix de mon homélie n’est pas banal, il est vital. Respirer n’est banal que pour les blasés de la vie. Et ce qui est vrai de la vie naturelle l’est aussi de la vie de la grâce : la Parole de Dieu n’est pas banale, et pas plus un sacrement, et pas plus le signe de croix. On a parfois l’impression que la répétition les rend banals, mais ce n’est pas vrai. Ce qui rend banal, c’est la répétition machinale, à la manière d’une machine, et ce qui rend la répétition machinale c’est qu’il lui manque la vie. Bref, le banal n’est autre que du vital quand la vie a disparu. La respiration ennuie lorsqu’on n’est plus attaché à la vie terrestre. La messe ennuie lorsqu’on n’est plus attaché à la vie céleste. Le signe de la croix devient banal lorsque la sainte Trinité n’est plus au cœur de notre vie spirituelle.
Alors, comment raviver en nous le signe de la croix ? Comment en faire une authentique prière à la sainte Trinité ? Il faut bien évidemment le répéter plusieurs fois par jour, l’habiter par la fréquence. Mais, comme je l’ai dit, la répétition ne fait que lasser si elle n’est pas vivante. Essayons donc de retrouver la source qui donne vie au signe de la croix.

Il est composé d’une parole et d’un signe, d’une parole qui invoque celui au nom duquel nous faisons le signe. Quand un policier dit : Au nom de la loi je vous arrête, c’est la puissance de la loi qu’il invoque pour vous arrêter. Quand un apôtre chasse un démon au nom du Christ, c’est la puissance du Christ qu’il invoque pour chasser le démon. Quand je baptise au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit, j’invoque la puissance de la sainte Trinité pour donner au baptisé la vie éternelle. Quand nous traçons sur notre corps un signe au nom de la Trinité sainte, nous invoquons donc la puissance de la sainte Trinité sur nous.
Dans le signe de la croix, il y a donc d’abord un acte de foi. Pour invoquer la sainte Trinité, il faut se tourner vers Dieu, et l’appeler par le Nom qu’Il nous a révélé. Ce Nom, nous le gardons au singulier parce que Dieu est Un, mais ce Nom unique il est trois noms de personnes distinctes, « Père », « Fils » et « Esprit-Saint ». Un seul Nom de Dieu, et trois noms personnels distincts. « Au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ». Permettez-moi de souligner combien notre foi est alors une toute petite lueur, mais une lueur qui voit loin. Une toute petite lueur parce que nous ne savons pas qui est Dieu, et ces noms personnels de Père, Fils, Esprit-Saint nous restent très mystérieux. La foi est une connaissance au travers d’un voile. Cependant, notre petite lueur voit très loin parce qu’elle connaît le Nom de Dieu, elle peut invoquer Dieu par son Nom : « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. »

Dans le signe de croix, notre acte de foi se fait invocation : nous disons le Nom unique, et le nom des trois personnes, en traçant sur notre corps le signe de la croix. Or dans ce geste unique il y a trois actions. Il y a d’abord l’action de se signer au nom de Dieu. Il y a ensuite l’action de déposer la croix de Jésus-Christ sur nous-même. Il y a enfin l’action d’inscrire la croix sur notre corps, sur cette chair qui a reçu l’Esprit-Saint au jour du baptême. Trois actions, une pour chacun des trois noms des personnes qui sont Dieu. Ainsi, quand on se signe, on établit une correspondance entre le nom que nous invoquons et le geste que nous faisons : la Trinité éternelle à laquelle nous croyons est la même que la Trinité qui agit en nous. Les trois personnes divines agissent en nous comme elles sont dans l’éternité. Le propre du Fils, c’est de nous conformer à lui dans la croix ; le propre de l’Esprit, c’est d’habiter dans notre chair comme en son Temple ; le propre du Père c’est de nous donner le Christ pour lui devenir semblable, et de nous donner l’Esprit-Saint pour qu’il fasse de notre chair son Temple. Voilà : se signer de la croix, c’est arrêter de se faire des idées ou des images sur la sainte Trinité ; faire son signe de croix c’est croire à la sainte Trinité telle qu’on la connaît dans la foi.
Le signe de croix possède donc une vertu essentielle dans la vie chrétienne. Il établit notre foi dans le concret de notre chair, dans des noms qui agissent dans notre chair. Quand on vous demande : « Tu crois en la Trinité, mais qu’est-ce que la Trinité ? », répondez en faisant un signe de croix. C’est le plus sûr moyen de ne pas dire de bêtise. Mais il y a trois autres raisons d’invoquer la puissance de la sainte Trinité par le signe de la croix.

La première est de s’assurer que l’on est en vie. On s’assure qu’on est en vie terrestre en écoutant le battement de son cœur. On s’assure qu’on est en vie divine en faisant un signe de croix. Si je vous demande : « êtes-vous vivants ? », au lieu de tâter le pouls de votre vie naturelle, auscultez plutôt votre vie surnaturelle avec un signe de croix. Si votre signe de croix est bien vivant, terminez-le par un « Amen » de confirmation.
La seconde raison de faire un signe de croix, c’est lorsqu’on veut prier. Car prier le Dieu unique, le seul vrai Dieu, est un acte sacré. On entre dans la proximité du Seigneur, on monte sur la montagne avec Moïse, on pénètre dans le Temple de la Présence divine. On quitte donc le monde qui passe pour s’attacher à ce qui ne passe pas. Cette rupture est exactement celle que réalise le signe de la croix : se signer, ce n’est rien d’autre que se rappeler que notre chair est le Temple de l’Esprit-Saint, que la croix du Christ nous a conformés à lui, que la prière nous conduit au Père. Il n’y a de prière au Dieu unique qu’à l’intérieur du signe de la croix. C’est pourquoi toutes nos prières commencent et s’achèvent par un signe de croix.
Enfin, nous nous signons pour une troisième raison : pour raviver en nous le désir du Ciel. Le signe de croix, c’est le signe de la foi vivante, mais la foi n’est que la préparation au face-à-face avec Dieu. La grâce n’est que le commencement de la Gloire que nous espérons. Ainsi est-ce sur ma chair que je me signe, parce que l’Esprit-Saint fait de ma chair un Temple pour la vie éternelle. Ainsi est-ce avec la croix que je me signe parce que le Christ nous a acquis par sa mort une résurrection éternelle. Ainsi est-ce dans la puissance de Dieu le Père que je me signe car celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts rendra aussi la vie à nos corps mortels.

Le signe de croix pour s’assurer qu’on est vivant, le signe de croix pour entrer dans l’espace de l’intimité avec Dieu, le signe de croix pour fortifier le désir des biens divins. À ces trois usages du signe de croix, il faut en ajouter un quatrième, un peu à part, celui que le Christ a laissé à ses ministres pour qu’ils bénissent, sanctifient ou consacrent en son nom.
Alors, frères et sœurs, êtes-vous vivants ? Vérifions-le tout de suite : Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. Amen.

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