Les talents, trésors de grâces !


Nous venons de l’entendre, la parabole des talents a de quoi faire peur ! Certes, une prime est promise à celui qui travaille à faire fructifier les talents qu’il a reçus mais le maître se montre particulièrement sévère pour son serviteur qui ne réussit pas, ou plus exactement celui qui a peur de ce que lui demande le maître : il se fait retirer tout ce qu’il a et on le jette dans les ténèbres, là où il y a des pleurs et des grincements de dents. Comment comprendre cette logique déconcertante qui, de plus, semble entrer en contradiction avec celle de la parabole des ouvriers de la 11e heure, vous savez celle où l’ouvrier arrivé au dernier moment — et qui travaille donc le moins — reçoit autant que celui qui a travaillé depuis le matin.
D’un côté un Dieu sévère, exigeant et punissant ; et de l’autre un Dieu presque débonnaire, qui semble ne pas tenir compte de la peine fournie.
Pour y voir clair, il faut comprendre que les talents que nous recevons de Dieu — dans l’Antiquité un talent correspondait à environ 30 kg d’argent, soit donc une somme considérable dépassant un salaire annuel — sont les précieux trésors de grâces qui, venant surélever notre nature, nous sont offerts depuis notre tendre enfance pour poser à chaque instant de notre vie des authentiques actes de charité. « Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment (Rm 8, 28). » Entendons-nous bien : c’est Dieu qui nous donne les talents — ces torrents de grâces qui surélèvent notre nature —, pour que, du fond de notre liberté — surélevée par la grâce divine —, nous nous saisissions de ces grâces pour les faire fructifier pour nous et pour le salut de tous les hommes. Nous touchons du doigt ici le trop grand amour de Dieu envers les hommes : en effet, Dieu pouvait nous combler de sa gloire autrement, par exemple en nous rendant capables de le voir sans demander notre collaboration active. Mais, la nature humaine, douée d’intelligence et de liberté, s’en serait trouvée moins respectée. À l’inverse, le Seigneur a voulu nous associer au salut qu’il apporte à tous les hommes dans le mystère de la communion des saints. Il est l’unique Rédempteur, mais par pure grâce, par pure miséricorde, nous devenons par lui, pour lui et en lui des petits co-rédempteurs, avec lui ! « Jésus seul me sauve, mais il me donne la grâce de collaborer au salut qu’il apporte à tous les hommes. »
Ceci dit, recevoir des talents, ou si vous préférez être comblé de grâces, est exigeant. Car cela oblige à nous donner sans compter, à être sans cesse ouvert à la grâce. À être comme la Vierge Marie, comblée de grâce ! Il faut bien avouer que ce n’est pas toujours une partie de plaisir. Car tôt ou tard, cela nous conduit à la Croix. « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive (Mt 16, 25). » Cela peut rebuter. Dans le cas les plus extrêmes, la peur peut même nous envahir, nous paralyser et même nous révolter. C’est d’ailleurs contre quoi le Seigneur veut nous avertir. Le troisième serviteur de la parabole s’entend dire : « Tu as eu peur de moi, tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé et ramasse là où je n’ai pas répandu et tu n’es même pas allé porter l’argent à la banque. » Autrement dit, « du fond de ta liberté que j’ai respectée, tu as refusé de faire fructifier les grâces que je t’ai pourtant offertes. Tu as ainsi comme anéanti tout ce que je t’ai offert pour entrer au ciel ! Et c’est ainsi que tu connaîtras les pleurs et les grincements de dents puisque jusqu’à ton dernier souffle, tu as refusé ma grâce. » Quel mystère ! Le Seigneur est comme prisonnier du refus, qui peut être nôtre !
Notez bien une chose : ce n’est pas pour autant que le Seigneur cesse de proposer sa grâce au serviteur qui a eu peur ! Ce dernier refuse simplement d’entrer dans la grâce qui lui est proposée jusqu’au dernier moment — lors du retour du maître. Dès lors, pourquoi s’étonner que ce talent soit alors proposée au serviteur qui a déjà fait fructifier cinq talents. Car, la grâce appelle la grâce ! La Vierge Marie, comblée de grâce, en est un exemple, elle qui est sainte, non pas parce qu’elle est la mère de Dieu mais parce qu’elle a fait parfaitement la volonté de Dieu. Elle n’a anéanti aucune grâce qui lui a été offerte par Dieu.
Je sais que l’exemple peut faire peur en raison de sa perfection : nous ne sommes pas la Vierge Marie ! C’est pourquoi pour nous encourager, je voudrais terminer par un autre exemple, celui du bon larron qui, jusqu’au dernier moment, a plutôt refusé de faire fructifier les talents qu’il a reçus. Mais justement, il n’a pas refusé le dernier talent que le Seigneur lui a offert : il l’a superbement fait fructifier par la miséricorde de Dieu dans un magnifique acte de charité, de foi et d’espérance : de charité parce qu’il a eu pitié de Jésus souffrant sur la croix : « C’est injuste, ce qu’il subit » ; de foi, puisqu’il a professé la royauté de Jésus : « Souviens-toi de moi dans ton royaume » ; d’espérance, puisqu’il ose demander de faire partie du royaume de Jésus. Ce que Jésus s’empresse de lui offrir du fond de sa miséricorde infinie : « Ce soir même tu seras en paradis avec moi ! » (Lc 23, 43).
En conclusion, cette parabole des talents, loin de nous faire peur, doit au contraire nous conduire à davantage aimer Dieu, qui ne cesse de nous combler de grâces à chaque seconde de notre vie pour parvenir un jour à entrer en paradis ! Prions pour qu’à chaque seconde de notre vie, nous n’anéantissions aucune des grâces que nous offre le Seigneur dans sa miséricorde infinie pour parvenir au degré de gloire qu’il nous a préparé dans son royaume !

