Homélie du 4 avril 2021 - Dimanche de la Résurrection - Pâques

Mais où est donc la Bonne Nouvelle ?

par

fr. Henry Donneaud

Mais où est donc la Bonne Nouvelle ? Par ces temps mauvais qui n’en finissent pas, les bonnes nouvelles sont rares. Lassitude, dégoût nous attendent chaque jour quand tombent les chiffres : nouveaux contaminés, hospitalisations, décès, nouvelles restrictions. Raison de plus, me direz-vous, pour nous réconforter en célébrant avec ferveur la Bonne Nouvelle de ce jour.

C’est entendu, mais quelle est au juste cette Bonne Nouvelle ? Où voyez-vous une Bonne Nouvelle ? L’Évangile que nous venons d’entendre ne nous a rien annoncé de réjouissant. Venue de bon matin au tombeau, Marie-Madeleine trouve la pierre roulée. Elle n’y comprend rien et va alerter les Apôtres : « On a enlevé le Seigneur, et nous ne savons pas où on l’a mis » (Jn 20, 2). Pierre et Jean accourent à leur tour, constatent que le corps de Jésus a disparu mais ils restent tout aussi interloqués. En conclusion, l’évangéliste suggère seulement leur ignorance, leur perplexité : « Ils ne savaient pas que d’après l’Écriture, Jésus devait ressusciter des morts et ils s’en retournèrent chez eux » (Jn 20, 8-9), furtivement, sans rien dire, sans rien faire. Drôle de bonne nouvelle, plutôt morose. Pas de quoi nous remonter le moral, ce matin.

Ce qui risque plutôt de monter en nos cœurs fatigués, c’est la déception, voire des reproches, des reproches d’ailleurs aussi anciens que l’Évangile : vous dites que Jésus est ressuscité, que c’est l’événement le plus formidable de toute l’histoire de l’humanité, or nous ne voyons pas que quoi que ce soit ait changé, ou si peu : toujours autant d’épidémies, d’injustices, de souffrances, de violences et de morts. Plus gênant encore, après deux mille ans, comment se fait-il que si peu de personnes croient en cette résurrection de Jésus, la prennent vraiment au sérieux ? Vous croyez y reconnaître la victoire de Dieu sur le péché et la mort, or pour la plupart des hommes cela reste un pseudo-événement, insignifiant. Et d’ailleurs, si Jésus est vraiment ressuscité, pourquoi s’est-il montré à un nombre si restreint de personnes, sans manifestation publique, sans éclat, comme à la dérobée ? Pourquoi ne s’est-il pas présenté, victorieux, glorieux, devant ses juges, devant les grands prêtres, devant Pilate ? Il aurait ainsi pris sa revanche et assis sa victoire de façon évidente et indubitable. Au moins les choses auraient été claires, efficaces, sans détour ni complication. Tout le monde aurait été convaincu. À quoi bon une victoire en catimini ? Pourquoi un triomphe qui reste caché aux yeux du monde ?

Pour que notre joie, ce matin, soit vraie et profonde, la question mérite que l’on s’y arrête. Où se cache donc la Bonne Nouvelle de la résurrection de Jésus, elle que ni Pierre ni Jean n’ont pu découvrir ? Où se cache-t-elle ?

Jésus avait pris soin d’avertir ses disciples à l’avance, le soir du Jeudi Saint, avant de les quitter. « Je ne vous laisse pas orphelin. Je reviendrai vers vous. Sous peu le monde ne me verra plus, mais vous vous me verrez, parce que je vis et que vous aussi vous vivrez » (Jn 14, 19). Au matin de Pâques, le monde ne voit plus Jésus, alors que Jésus, vraiment ressuscité, est vivant, bien vivant. Et les disciples, peu à peu, vont apprendre à le voir, apprendre à entrer dans la vie nouvelle ; ils vont commencer à renaître, c’est-à-dire à croire. Mais pour l’instant, au soir du Jeudi Saint, ils ne comprennent pas encore. L’un d’eux, pourtant, ose interroger Jésus, et sa question est exactement la nôtre : « Seigneur, comment se fait-il que tu doives te manifester à nous et non pas au monde ? » (Jn 14, 22). Pourquoi dois-tu rester si discret, si réservé, si timide dans ta résurrection ?

  1. Écoutons la réponse de Jésus, car c’est d’elle que jaillira ce matin la lumière capable de déployer en nos cœurs toute la puissance de sa résurrection. Une réponse qui aurait de quoi nous dérouter si nous ne prenions pas la peine de la scruter, de la comprendre. Jésus semble répondre à côté. En fait, il répond au plus vrai : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure. Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles » (Jn 14, 22-23). Garder la parole de Jésus, c’est la faire passer des oreilles au plus intime du cœur ; c’est la faire nôtre, nous y attacher. C’est tout simplement la croire, la croire en profondeur. Or, nous dit Jésus, impossible de bien garder la parole de Jésus, de la croire en vérité, sans aimer Jésus, sans nous laisser attirer vers lui, sans désirer lui être uni. Si quelqu’un m’aime… Nul ne peut être forcé de croire Jésus, nul ne peut être contraint d’accueillir ses paroles. Il faut pour cela, nécessairement, au plus profond de nous, un élan amoureux, un élan de notre désir le plus libre, le plus intense. Celui qui n’aime pas Jésus ne peut pas croire en lui, ne peut pas accueillir sa parole, ne peut pas reconnaître sa résurrection. À ceux qui l’aiment, et parce qu’ils l’aiment, Jésus se manifeste, se fait voir par les yeux de la foi. Ceux qui ne l’aiment pas, en qui il n’y a pas d’amour, ceux-là ne peuvent pas le reconnaître ; ils sont aveuglés par leur manque d’amour. Sans amour, pas de lumière, car la vérité n’est autre que l’amour en personne, l’amour que Dieu est, l’amour que Dieu a pour nous. Certes, c’est bien Dieu qui nous a aimés le premier ; c’est Jésus qui nous a aimés alors que nous étions pécheurs, loin de lui. Mais lorsque Jésus, ressuscité, vient à nous pour nous aimer, pour se donner à nous, il ne peut être reconnu que par ceux qui sont disposés à l’aimer, que par ceux dont le cœur blessé est disponible à son amour.

Car l’amour ne s’impose pas. Il se propose. Il veut être accueilli, reçu pour lui-même, librement, gratuitement. Par la Bonne Nouvelle de la résurrection de Jésus, le Père comme le Fils se proposent de venir habiter en nous de manière à nous préparer, dès maintenant, à entrer pour l’éternité dans l’intimité de la Sainte Trinité. Ils ne veulent pas faire de nous des esclaves, des soumis ; ils veulent faire de nous des amis. Des amis en qui ils désirent habiter pour qu’à notre tour nous puissions habiter en eux.

Voilà pourquoi, en cette sainte nuit de sa résurrection où Jésus a été réellement glorifié en sa nature humaine, il fallait aussi que cette glorification reste comme cachée, dérobée aux yeux de nos intelligences. Il fallait qu’elle ne s’impose pas à nous comme un fait brut, comme un fait évident, comme un fait qui nous obligerait mécaniquement à la soumission, sans amour. La Bonne Nouvelle nous arrive plutôt à la manière d’un appel, d’une invitation capable de réveiller en nous l’élan le plus profond, le plus amoureux de notre cœur. Voilà toute la différence entre la foi à laquelle nous sommes appelés et l’évidence dont nous aimerions sottement nous contenter. Une vérité évidente ne nous laisse pas libre de la reconnaître, de l’accepter. Elle s’impose, sans notre consentement. Par la foi, au contraire, Jésus veut se donner à nous par un dialogue d’amour. Il ne s’adresse pas à notre seule intelligence. Il veut aussi éveiller en nous l’élan de l’amour. Il veut que nous apprenions à l’accueillir comme un ami.

Alors, la pénombre de notre Évangile de ce matin commence à s’éclairer. Si la Bonne Nouvelle reste en demi-teinte, c’est que ce clair-obscur est la condition même de notre entrée dans l’amour que Dieu nous offre. Regardons l’apôtre Jean, « celui que Jésus aimait » (Jn 20, 2). Il court vers le tombeau, plus vite que Pierre. Il court plus vite non parce qu’il est plus jeune, mais parce, même sans comprendre, il aime Jésus avec plus d’ardeur. Il n’entre pas le premier, par respect. Il laisse passer Pierre. Mais Pierre, voyant les linges sans le corps de Jésus, reste interdit. Jean seul, entrant à son tour, saisit immédiatement : « Il vit et il crut » (Jn 20, 8). Parce qu’il aimait davantage Jésus, d’un amour plus ardent, plus profond, plus total, il lui suffit de voir ce que Pierre a vu pour croire ce que Pierre n’a pas cru.

C’est bien là, frères et sœurs, que se trouve cachée la vérité de la Bonne Nouvelle de ce matin : il vit et il crut. Il crut parce qu’il aimait. Certes, le cœur de cette Bonne Nouvelle c’est bien la résurrection de Jésus, la réalité à la fois historique et divine de sa résurrection, la vérité de cet événement le plus décisif de toute notre histoire humaine, par lequel, pour la première fois, une vie humaine a été arrachée, totalement, définitivement, au pouvoir de la mort, ouvrant ainsi la route au salut de la multitude. Mais ce cœur de la Résurrection, nous ne pouvons l’atteindre que par la foi, librement, sans évidence, parce que nous ne pouvons répondre à l’amour que par l’amour. Et avant que nous ne puissions contempler le Ressuscité dans sa gloire, pour l’éternité, c’est dans la foi que nous accueillons ce don, librement, profondément, par tout notre être, par toutes nos puissances conjointes d’amour et d’intelligence. Cette foi, cette foi amoureuse, certes, ne vient pas de nous. Elle est un don de Dieu. Mais c’est notre route, notre pèlerinage ici-bas, que de consentir peu à peu à ce don, de le déployer en croyant et en aimant chaque jour davantage.

La victoire de Dieu sur la mort, ce matin, c’est la résurrection de Jésus. Mais dans la victoire de Dieu, il y a aussi notre victoire. Et notre victoire, « la victoire qui a triomphé du monde, c’est notre foi » (1 Jn 5, 4). Notre foi par laquelle nous sommes associés, dès maintenant, à l’élan de la vie nouvelle. S’il nous faut rendre grâce de tout cœur, ce matin, nous réjouir, exulter d’allégresse, c’est pour la résurrection de Jésus, et du même coup pour cette foi grâce à laquelle la résurrection de Jésus commence à devenir notre résurrection. Voilà bien le chant de notre joie, ce matin, le chant de notre foi, le chant de notre amour : le Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité !