Homélie du 30 mars 2008 - 2e DP

Mon Seigneur et mon Dieu (Jn 20, 19-31)

par

fr. Jean-Hugo Tisin

Y a-t-il dans nos Écritures une confession de la Seigneurie de Jésus plus explicite, plus profonde que celle-là? La personne de l’apôtre Thomas et son itinéraire de foi a toujours fasciné les fidèles des communautés primitives, depuis l’Égypte, la Syrie, jusqu’en Inde. Elle ne cesse de fasciner encore nos contemporains, croyants ou non. Elle demeure pour nous, en tous cas, un exemple de méditation dès lors que nous tentons de réfléchir sur la relation de la foi et de la Résurrection du Christ, sur la signification de notre existence réelle: celle du Premier Jour de la Création nouvelle. Mais qui est l’apôtre Thomas? Il se nomme en araméen: jumeau. Et de qui peut-il bien être le jumeau? Ouvrons le livre des Écritures.

Déception! Les trois premiers Évangiles ne nous donnent aucune indication. Thomas fait partie du groupe des Douze, associé généralement à Matthieu le collecteur d’impôts; dans l’ordre habituel, son nom ne figure qu’après les disciples proches de Jésus: Simon et André, Jacques et Jean (Mt 10, 2-4). C’est le dernier Évangile en date, celui de Jean, qui lève légèrement le coin du voile, sans que nous sachions la ou les raison(s) de ces révélations. En trois lieux, trois moments de la vie du Maître, affronté déjà au mystère de la vie et de la mort, Thomas apparaît. Il veut savoir, connaître qui est Jésus, tendre de tout son être vers Lui et connaître le chemin de vie: où va-t-Il? Comment aller vers Lui?

Thomas apparaît la première fois lorsque Jésus décide d’aller à Béthanie, après la mort de Lazare: Allons nous aussi, et nous mourrons avec lui! (Jn 11, 16). Mourir avec Lui, avec le Maître! Les disciples pressentent en effet que l’événement à venir précipitera Jésus dans la mort.

Ensuite, au moment de l’ultime repas que Jésus partage avec les disciples, le Maître annonce qu’Il préparera le lieu, la demeure de chacun d’eux, qu’Il reviendra et les prendra avec Lui: Quant au lieu où je vais, vous en savez le chemin, dit Jésus. Thomas lui dit: Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment pourrions-nous en connaître le chemin (Jn 14, 4-5). Accéder de son propre mouvement au lieu que Jésus nous prépare! Est-ce bien l’expérience de la foi? Thomas a-t-il bien entendu? C’est pourtant le Maître qui déclare: Je vous prendrai avec moi (Jn 14, 3).

Enfin, dans notre Évangile d’aujourd’hui, le mouvement de Thomas vers Jésus est celui de la vérification, par la vue, le toucher, du mystère de vie et de mort. Comme l’homme ancien, le premier Adam de l’ancien monde, Thomas ne se fie qu’au mouvement de la connaissance vers l’Arbre de Vie, comme s’il était en notre pouvoir, à portée de main. C’est le Christ ressuscité qui, alors, transforme l’intelligence de la foi et retourne le cœur de Thomas. C’est le Christ qui, en fait, vient vers lui, l’invitant à mettre ses doigts dans les stigmates, les trous, les vides, du Corps supplicié le Vendredi. C’est le Corps glorieux du Ressuscité qui est la lumière d’où peut jaillir notre acte de foi.

Contrairement à ce que nous pensons souvent, c’est la Résurrection qui précède la foi et non pas l’inverse. Nous, nous disons toujours que c’est la foi qui conditionne la Résurrection, alors que c’est la Résurrection qui est la condition de la foi. C’est bien parce qu’il y a Résurrection qu’il peut maintenant y avoir foi.

L’expérience de Thomas est un long itinéraire de la connaissance pour parvenir au secret de l’entrelacement de la vie et de la mort. Comme celle d’Adam, son expérience, qui est toujours un peu la nôtre, consiste à tendre la main pour toucher le fruit de la connaissance de la Vie et de la Mort, du Bien et du Mal. Or c’est le Christ, le Nouvel Arbre de Vie, qui tend ses branches vers nous pour nous prendre avec Lui. C’est Lui qui dirige nos doigts vers le vide de la mort et la souffrance du monde ancien; et nous parlant, soufflant sur nous, comme au Premier Jour du Monde, Il recrée notre être.

Tous ces événements, ces manifestations de présence après la Pâque: à Thomas, aux disciples d’Emmaüs, à Marie de Magdala, sont ceux d’une nouvelle genèse. C’est Moi, le Seigneur, qui vous cherche et vous trouve; voilà, c’est Moi, en vérité, je vous le dis: ce n’est pas vous, c’est Moi. Frères et sœurs, de qui Thomas est-il jumeau? n’est-ce pas de chacun de nous, à un tournant de notre existence? vous et moi?