Homélie du 19 mai 2002 - Pentecôte
Journée mondiale de la communication

Pentecôte

par

fr. Serge-Thomas Bonino

Pentecôte. Journée mondiale de la communication. La vraie. Et pour cette Journée, un logo nous vient tout droit du ciel: des langues qu’on eût dites de feu. Des langues parce que la langue, le langage, la parole, est le véhicule numéro un des échanges, de la communication entre les hommes. Des langues de feu, parce que le message que prêche l’apôtre, qu’articulé sa langue, vient de plus loin que lui: il est comme traversé, habité par le souffle brûlant de l’Esprit.

Communiquer, comme le nom l’indique, signifie mettre en commun. Le contraire donc de garder jalousement pour soi. Communiquer, c’est s’ouvrir à l’autre pour partager avec lui ce que l’on a, ce que l’on vit, ce que l’on est. D’une certaine manière, communiquer, c’est toujours donner, c’est se donner, bref, c’est aimer. Et par suite toute communication authentique crée des liens. Elle est à l’origine d’une communauté, elle rassemble ceux qui partagent un même bien mis en commun.

Mais vous comprenez aussitôt que la qualité, la profondeur, de la communion entre nous dépend de la valeur de ce que nous mettons en commun. Lorsque j’échange avec mon coiffeur des impressions sur les derniers résultats du Stade Toulousain, je crée certes entre nous une forme d’unité résultant de la mise en commun de nos opinions, mais cette communion évidemment ne va pas très loin. Elle reste au ras de la pelouse. Par contre, qu’est-ce que les apôtres ont à communiquer en ce matin de Pentecôte? Saint Luc nous l’apprend. «Remplis de l’Esprit-Saint», «ils publient en toutes langues les hauts faits, les merveilles de Dieu». Ils annoncent ce qui est l’œuvre de Dieu par excellence: la résurrection de Jésus. «Dieu l’a ressuscité. Dieu l’a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous aviez crucifié» (Act 2, 36). En Jésus ressuscité, Dieu nous fait le don, moyennant la foi, d’une vie nouvelle. Et cette vie de Dieu, répandue et communiquée par l’Esprit de Jésus, instaure entre les hommes la plus profonde des communions qui soient. Une communion qui s’appelle l’Église.

Mais si l’Église que nous formons est une communion (qui ne cesse d’ailleurs de se communiquer), c’est parce que Dieu le premier s’est communiqué. La communion ecclésiale et sa diffusion missionnaire ne sont pas le fruit d’une initiative humaine; elles sont un don de Dieu. Elles sont l’effet de la communication que Dieu nous fait de sa propre plénitude de vie. Et c’est pourquoi la communion ecclésiale est – et doit toujours être davantage – à l’image et à la ressemblance de la communion des personnes divines.

Car, nous le croyons, le mystère de notre Dieu est mystère de communion. La sainte Trinité est une communion fondée sur la communication, sur la mise en commun. De toute éternité, le Père communique au Fils tout ce qu’il est, tout ce qu’il a, sauf évidemment d’être Père, c’est-à-dire d’être source de ce que le Fils reçoit. Et le Fils, lorsqu’il accueille le don du Père, loin de s’en emparer comme d’une proie, loin de revendiquer 53 part d’héritage pour partir faire sa vie loin du Père, comme le fils prodigue de la parabole, le Fils, dis-je, restitue intégralement ce don en action de grâce, comme un miroir réfléchit la lumière qui l’inonde. Alors, le Père communique au Fils la joie d’être avec lui source de l’Esprit, de ce «fleuve de vie qui jaillit éternellement du trône de Dieu et de l’Agneau» (Ap 22, 1). Le Père et le Fils, dans leur unité, communiquent à l’Esprit tout ce qu’ils ont, tout ce qu’ils sont. Décidément, la joie d’aimer et d’être aimé est une joie communicative. Tout est donc commun entre les trois personnes de la Trinité, sauf les relations d’origine Aucune ne s’isole, aucune ne se replie sut elle-même, aucune ne reste à l’écart du grand courant de connaissance et d’amour, d’échange vital qui les baigne. Il y a une seule substance, un seul être, une seule vie. Bien plus, il y a un seul désir, libre et généreux, de se communiquer encore davantage, en appelant des créatures à partager leur joie.

C’est bel et bien dans cette communion là que nous introduit la grâce, le don de l’Esprit-Saint. Don de Dieu, don de feu. Parce que notre Dieu est un feu dévorant (Dt 4, 24; He 12, 29). Déjà, lorsque Dieu, au Sinaï, communiquait aux hébreux la Loi de vie, événement que célèbre chaque année la Pentecôte juive, l’Écriture nous dit que «la montagne sainte était toute fumante parce que le Seigneur y était descendu sous forme de feu» (Ex 19, 18). Aussi convenait-il que, dans l’alliance nouvelle, le don de l’Esprit, qui est comme notre loi intérieure, prenne la forme d’un baptême de feu. Non pas le feu qui détruit, non pas le feu qui calcine les impies, mais le feu qui réchauffe, apaise et illumine, ce feu que Jésus est venu jeter sur la terre (Le 12, 49).

Or le feu a deux propriétés très remarquables. La première est d’unir en lui les êtres qu’il pénètre et embrase dans la mesure où il les rend semblables à lui. Bois de chêne, bois de pin, bois de hêtre, se fondent dans un unique brasier et deviennent comme un seul feu. De même, ceux que touche l’Esprit ne font plus qu’un dans l’Église. Et de fait, les Actes des Apôtres nous rapportent qu’après la Pentecôte «la multitude des croyants n’avait plus qu’un seul cœur et qu’une seule âme» (Act 4, 32). La communion des saints, c’est-à-dire l’union des croyants dans l’Église, devient ainsi l’image, le signe visible, le sacrement de la communion entre les1 personnes divines. De même que dans la Trinité, il y a moi, il y a toi, il y a lui, mais il n’y a pas le mien, le tien, le sien, de même dans l’Église, toujours selon les Actes, «nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était commun» (ibid.).

Du moins, jusqu’au jour de la chute, du péché originel – que constitue, aux yeux de saint Luc, la fraude d’Ananie et de sa femme Saphire (Act 5). Renouvelant aux origines de l’Église la faute originelle d’Adam et d’Eve, Ananie et Saphire, séduits par le grand diviseur, Satan, détournent à leur profit personnel une partie du bien de la communauté: Depuis lors, deux tendances s’affrontent dans le cœur de chaque chrétien. D’un côté, le vieil homme s’épuise à jouer sa triste partition en solo. Mais de l’autre, l’homme nouveau, animé par l’Esprit, s’intègre chaque jour davantage à la symphonie ecclésiale. En faisant passer le bien commun avant ses intérêts particuliers. En recherchant non ce qui distingue mais ce qui rapproche, non ce qui singularise mais ce qui contribue à la communion. C’est cela avoir l’esprit catholique.

La seconde propriété du feu est de communiquer aux êtres qu’il embrase et transforme en lui-même le pouvoir, le’ désir, d’embraser à leur tour. Le feu de l’Esprit fait de chaque chrétien un être de feu, un apôtre qui ne peut pas ne pas transmettre ce qu’il a lui-même reçu. Qui a goûté à la sobre ivresse de l’Esprit, qui est devenu familier du mystère d’un Dieu qui est communion communicative, ne peut pas ne pas inviter ses frères à la fête. «Mangez, amis, buvez, enivrez-vous, mes bien aimés» (Ct 5, 1).