Homélie du 24 mai 2020 - 7e Dimanche de Pâques

Père, glorifie ton Fils

par

fr. François Daguet

Nous approchons du terme du temps pascal, c’est-à-dire de l’accomplissement de la mission du Christ. Vous le savez, parce que Jésus nous l’a dit : il vit sa pâque pour que nous puissions recevoir l’Esprit Saint, autrement dit une participation à sa propre vie. Alors, on comprend pourquoi, alors que nous allons fêter la Pentecôte, nous recevons comme évangile cette prière de Jésus à son Père qui nous dévoile l’intimité du projet de Dieu à notre égard.

Si on n’y prête attention, les paroles de Jésus peuvent nous sembler énigmatiques : « Père, glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie… donne-moi la gloire que j’avais auprès de toi avant le commencement du monde. » Le Christ aurait-il donc perdu ce qu’il avait auparavant ? Qu’est-ce donc que cette gloire que le Christ demande au Père de lui donner ? La gloire, dit saint Thomas reprenant Cicéron, c’est « une connaissance lumineuse, accompagnée de louange ». La gloire de Dieu, c’est qu’il soit connu et que louange lui soit rendue. Le Père et le Fils se connaissent éternellement : c’est la gloire que le Christ a avant que le monde ne paraisse et que le Père a pareillement. On le saisit déjà humainement. La gloire qui entoure une personne, c’est la connaissance que l’on a d’elle et la louange qu’on lui rend. Mais les gloires humaines passent — sic transit gloria mundi — la gloire de Dieu ne passe pas, elle est éternelle.

En assumant une nature humaine, semblable à la nôtre, le Verbe a en quelque sorte voilé sa divinité, elle n’est plus immédiatement manifeste. Il l’a laissée transparaître fugitivement lors de la Transfiguration, mais il demande maintenant au Père de manifester aux hommes sa divinité. Et c’est là qu’il faut suivre la prière de Jésus. Il ne va pas se manifester à tous les hommes comme il s’est manifesté à Pierre, Jacques et Jean sur le Thabor, en laissant sa gloire transparaître dans son humanité. Cela, ce sera pour son retour à la fin des temps quand il reviendra, comme il le dit, « dans la gloire » (Mt 25, 31). Non, il va manifester sa gloire en communiquant aux hommes sa propre vie, qui est vie éternelle. Ainsi, dit-il au Père, « il donnera la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés ». C’est pourquoi il ajoute : « La vie éternelle c’est de te connaître, toi le seul Dieu, le vrai Dieu, et de connaître celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. » En entrant dans la connaissance de Dieu, en le reconnaissant, et donc en le louant, les hommes glorifient Dieu, le Père et son Fils Jésus-Christ. Si bien qu’en demandant au Père de le glorifier, Jésus ne demande rien pour lui-même, mais seulement que les hommes entrent dans la connaissance de Dieu, c’est-à-dire de la connaissance du Christ qui nous fait entrer dans la connaissance du Père. « Qui me voit, voit le Père », dit Jésus à Philippe.

Saint Irénée de Lyon a magnifiquement résumé tout cela. Il écrit : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu » (Adversus Haereses, IV, 20, 7). Ce qui glorifie Dieu, ce que le Christ demande à son Père, c’est que nous entrions dans la connaissance de lui-même. Bien sûr, il faut comprendre la connaissance au sens biblique, non pas d’abord comme une connaissance conceptuelle. Connaître Dieu, c’est le rencontrer, entrer dans sa familiarité, vivre avec lui. En vivant sa pâque, sa passion et sa résurrection, en étant vainqueur de la mort, le Christ nous ouvre la participation à sa propre vie, cette vie éternelle qui ne passe pas. Et cette vie nous fait entrer dans la connaissance de Dieu. Connaissance de foi, ici-bas, connaissance de vision, dans le Ciel, au terme de notre vie : « Nous le verrons tel qu’il est. » Si nous vivons de la vie de Dieu, nous sommes vraiment des vivants, de ceux qui connaissent Dieu et qui lui rendent gloire. C’est pourquoi nous avons chanté le Gloria au début de cette célébration. Nous avons repris le chant des anges à la naissance de Jésus. Eux ont reconnu le Verbe dans l’enfant de Bethléem et nous, nous le reconnaissons à notre tour : « Gloire à Dieu au plus haut des Cieux. »

Vous comprenez que tout cela, c’est le fruit du don de l’Esprit Saint. Par nous-mêmes, nous ne pouvons entrer dans cette connaissance de Dieu qui est vie avec lui. C’est ce que le Christ veut pour nous, et c’est ce que réalise le don de l’Esprit que le Christ nous envoie d’auprès du Père. Le chrétien n’est pas un homme ou une femme qui croit qu’il y a « autre chose » ; il n’est pas non plus quelqu’un qui croit en Dieu, sans plus : cela vaut pour toutes les religions. Il est quelqu’un qui est entré, par le don de l’Esprit, dans la connaissance intime qu’il a du Père, et qui vit désormais en enfant du Père.

Réjouissons-nous et tâchons d’en être dignes. Soyons des vivants, de ceux qui voient Dieu.