Homélie du 25 décembre 2018 - Nativité du Seigneur (solennité de Noël, messe du Jour)

Une lumière nouvelle

par

fr. Nicolas-Jean Porret

Frères et sœurs, voici une question qui vous semblera peut-être enfantine (mais c’est Noël) : êtes-vous contents de l’éclairage de votre crèche, à la maison ? En effet, il n’est pas si facile de bien réussir un éclairage de crèche. L’idéal serait une lumière venant du nouveau-né lui-même, de Jésus, un peu à la manière des peintres du XVIIe siècle, Philippe de Champaigne ou l’école flamande caravagesque : dans ces tableaux il n’y a d’autre source de lumière que celle qui émane de Jésus, irradiant, illuminant les visages de Marie, Joseph et des pastoureaux penchés sur le divin berceau.

Au-delà du défi esthétique, se niche une question spirituelle : comment éclairer la crèche, c’est-à-dire quel regard, quelle lumière, projeter sur le mystère du Fils de Dieu né à Bethléem ? Jésus *vient au jour* au milieu de… la nuit de ce monde. Il vient au jour en naissant virginalement de Marie — et d’une certaine façon on se réjouit qu’aucune lumière médicale de maternité ne l’ait ébloui. À la vérité c’est plutôt le jour de ce monde qui vient au Verbe se faisant chair ; ce sont nos jours qui viennent se renouveler, se ressourcer, au creux de l’hiver, en vue d’une renaissance. Dieu-fait-homme est la source fontale de toute lumière : « En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ; et la lumière brille dans les ténèbres ; et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. »

Voici une seconde question, un rien adolescente (mais c’est Noël) : cette lumière, est-ce qu’un photographe — du grec photos-graphei = « il écrit de la lumière » — aurait pu la capter ? Sinon au temps de Jésus, où ce « 8e art » n’existait pas, du moins, et pour revenir à nos santons, face à nos crèches. Bref peut-on faire de bons tableaux photographiques de ces figures de Jésus, Marie, Joseph, de ces adorateurs de tous temps et de toutes conditions, qui nous révèleraient un peu le mystère de Noël ? Les scènes complètes sont difficiles. La macrophotographie est plus satisfaisante, qui isole tel ou tel santons : un villageois, une villageoise, un artisan, saint Joseph ; peut-être l’an prochain saint Jean-Baptiste, lui « qui n’était pas la lumière, mais venait pour témoigner de la lumière » ; toutefois, à mesure que l’on s’approche de la source de la lumière, et que l’on s’éloigne du chiaroscuro (clair-obscur) des personnages périphériques, le défi devient plus ardu. Il est particulièrement difficile d’appréhender la simple beauté de la Vierge et l’innocence du « petit Jésus ».
Le photographe, artiste et contemplatif, essaye de recueillir la lumière dont sont baignées les réalités de ce monde. La lumière des objets filtre à travers la lentille de son objectif — aux prismes les plus clairs possibles, au diaphragme ouvrant au plus grand —, de la même manière qu’à travers son œil, plus ou moins limpide, plus ou moins enclin à la contemplation. La lumière vient s’imprimer sur la chimie d’une pellicule ou sur les photosites d’un capteur, comme elle s’expose d’abord sur la rétine de son œil. Le développement traite ces impressions fugitives, les corrige éventuellement, comme nos mémoires reçoivent, parfois corrigent, et impriment les images des objets que nous aimons.

« Quant à Marie, dit saint Luc, elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son cœur » (Lc 2, 19). Oui, Marie — et pour elle j’ose reprendre la formule des adolescents — Marie « imprime » : elle voit, elle comprend, elle retient. Mieux qu’elle ne « photographie » son enfant… elle le contemple. On pourrait lui prêter ces vues que le philosophe lui prête : « Ce Dieu est mon enfant ! Cette chair divine est ma chair ; il est fait de moi, il a mes yeux, et cette forme de bouche c’est la forme de la mienne. Il me ressemble, il est Dieu et il me ressemble » (J.-P. Sartre, Bariona ou le Fils du tonnerre). La Vierge retient, et nul besoin de corriger. Son œil est pur, comme toute sa personne, familier du mystère, apte à s’imprégner du Verbe, source de la lumière. Marie, du fait de son Immaculée conception, est en pleine convenance et harmonie avec le Verbe « qui éclaire tout homme venant en ce monde ». Elle pourrait déjà « se passer de l’éclat du soleil et de celui de la lune, car la gloire de Dieu l’a illuminée, et l’Agneau lui tient lieu de flambeau » (Ap 21, 23-24).

Mais nous, frères et sœurs, nous qui aimons tant encore le grainé de la matière, nous, si familiers des contrastes de ce monde, amateurs des clair-obscur… la crèche révèle notre faiblesse par rapport à la lumière, notre connivence avec l’obscur. Nous nous attardons par trop à la beauté qui résulte de cette tension où la lumière qui irise les réalités qui lui correspondent cherche aussi à les arracher à l’obscurité d’un monde souffrant à sauver.

Osons, avec Marie, Joseph et tous les santons qui nous précèdent, en adultes réconciliés, entrer dans la joie de ce Jour nouveau. Accueillons ce Jour qui triomphe des ténèbres, ce Jour qui nous ressource en le Verbe-lumière dont saint Jean dessine le tableau. Contemplons sa « gloire qui lui vient du père comme unique-engendré, plein de grâce et de vérité ». Par la foi au Nom de Jésus (Dieu sauve), renaissons en son éternel Engendrement du Père.
Soyons heureux que la crèche de nos cœurs soit illuminée par une telle lumière intérieur: reconnaissants que, dans ce « Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu », déjà nous voyions la lumière.